Trop petits, les raffineurs du Cameroun, du Congo et du Gabon souffrent d'un manque de rentabilité. Mais loin de s'unir pour s'en sortir, ils optent pour une fuite en avant.
À Limbé, au Cameroun, la Sonara peut traiter 2,1 millions de tonnes de pétrole
par an.
La Société nationale de raffinage (Sonara) peut dire merci au gouvernement
camerounais. Depuis le 1er juillet, le prix des carburants à la pompe, gelé
depuis six ans, a été réajusté, ce qui allège la pression sur ses finances. Mais
la décision politique n'évacue pas le problème de solvabilité de l'unique
raffinerie du pays.
Ses dettes auprès des fournisseurs et des banques locales s'élèvent à 550
milliards de F CFA (840 millions d'euros), faisant planer sur le secteur
bancaire national ce que le Fonds monétaire international (FMI) qualifiait, en
2012, de "risque systémique". L'état lui doit près de 300 milliards de F CFA au
titre de la compensation de la différence entre le coût de production du litre
et le prix "administré" (voir graphique).
Au Cameroun comme au Gabon et au Congo, le retard de paiement de cette
compensation conduit les raffineurs à se financer "à court terme, à taux très
élevé pour maintenir l'exploitation", souligne Robert Nken, responsable du
bureau congolais de KPMG.
Faible rentabilité
Créées il y a plus de trente ans dans le but d'affirmer la souveraineté
énergétique, les raffineries d'Afrique centrale ont depuis longtemps mis de côté
tout souci de rentabilité. En dépit des injonctions des institutions de Bretton
Woods, qui exigent le remplacement des tarifs administrés par des aides ciblées,
ce soutien public n'est pas près de s'arrêter. "Les subventions restent un défi
majeur pour la rentabilité des raffineries africaines qui, dans une large
mesure, est liée au degré de réglementation locale", souligne Rolake Akinkugbe,
responsable du département énergie et ressources naturelles à la First National
Bank.
La question des prix à la pompe n'est pas le seul souci : la sous-utilisation
des capacités installées fait grimper les prix de production.
Théoriquement capable de traiter annuellement un million de tonnes, la
Congolaise de raffinage (Coraf) va rarement au-delà des 600 000 tonnes du fait
d'installations obsolètes. "Ces facteurs, combinés à une masse salariale
importante et à une assistance technique onéreuse, rendent ces installations
moins compétitives que les raffineries du Nigeria, du Venezuela, et même
d'Europe", observe Elias Pungong, responsable des hydrocarbures en Afrique chez
Ernst & Young.
Grève
D'autres pesanteurs entrent en ligne de compte : des coûts et des arrêts
de maintenance deux à trois fois supérieurs par rapport à des raffineries
comparables, un climat social parfois perturbé...
En 2013, la Société gabonaise de raffinage (Sogara) a ainsi connu une grève de
vingt-sept jours en février, et la raffinerie a été arrêtée pendant vingt-huit
jours à la suite d'un incident technique. Au Cameroun, l'insuffisance de matière
première rogne les rendements, qui sont passés de 340 à 200 mètres cubes par
heure. De plus, le pays avait configuré ses installations pour ne traiter que du
brut léger, aiguillé en cela par la nature des premières découvertes faites dans
les gisements locaux à la fin des années 1970. Las ! C'est en fait du brut lourd
qui sort de plus en plus de son sous-sol.
Enfin, les raffineries régionales font face à un problème de taille critique :
l'unité de Port-Gentil (Gabon) ne peut traiter que 500 000 tonnes par an et son
homologue camerounaise, 2,1 millions de tonnes. Or "pour qu'une raffinerie
puisse être compétitive, il faut qu'elle ait au minimum une capacité de
production de 7 millions de tonnes par an.
Aucune des raffineries de la Cemac [Communauté économique et monétaire d'Afrique
centrale] ne dispose donc de la taille critique pour être rentable", concluait
en 2009 l'instance communautaire, qui plaide donc pour la construction d'une
raffinerie régionale pour desservir tous les pays de la zone.
Ce serait un retour à la situation d'avant 1973, quand la Société équatoriale de
raffinage (SER), ancêtre de la Sogara, était le bien commun des États de la
défunte Union douanière et économique de l'Afrique centrale (Udeac).
Voeu pieux
Mais au vu des projets qui se multiplient, cette recommandation restera
un voeu pieux. Premier producteur d'or noir de la sous-région, la Guinée
équatoriale a confié la réalisation d'une unité de 20 000 barils/jour à
l'américain KBR, spécialisé dans l'ingénierie pétrolière. Au Tchad, la Société
de raffinage de N'Djamena (SRN), dont la capacité de production se situe autour
du million de tonnes annuelles, est entrée en service en juin 2011.
Le Cameroun entend quant à lui porter le potentiel de la Sonara à 3,5 millions
de tonnes, et reconfigurer son installation pour traiter le brut local et
réduire sa dépendance aux importations nigériane, équato-guinéenne et angolaise.
Coût de l'opération : 550 milliards de F CFA.
Le Gabon mise sur Samsung Construction & Trading pour rendre une autre
raffinerie opérationnelle dès 2016, tout en augmentant l'offre de la Sogara de
1,2 million de tonnes. Et le Congo s'allie à l'américain Berven Group pour
aménager un second site à Pointe-Noire.
Ces projets, dont l'objectif affiché est d'améliorer les technologies et
d'augmenter les marges, laissent dubitatif quant à leur pertinence. Rolake
Akinkugbe l'affirme : "Compte tenu de l'offre excédentaire de la Sonara qui
exporte le surplus vers la région, il y a lieu de se demander si l'Afrique
centrale a actuellement besoin de nouvelles raffineries."
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