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Peut-on encore espérer quelque chose du cessez-le-feu ?

Le 17 octobre, un accord de cessez-le-feu avec Boko Haram, incluant la libération des 200 lycéennes enlevées il y a six mois, était annoncé par les autorités tchadiennes et nigérianes. Mais depuis, les attaques de la secte islamique se poursuivent dans le nord du Nigeria. L'accord signé est-il pour autant caduc ? Quel rôle joue les différents acteurs ? Réponse en cinq points.

 

 


Les lycéennes enlevées à Chibok.

 


Il y a une semaine, le chef d'état-major de l'armée et le premier secrétaire de la présidence nigériane, Hassan Tukur, annonçait qu'un accord de cessez-le-feu avec la secte Boko Haram avait été trouvé. Une information confirmée le 18 octobre par le ministère tchadien des Affaires étrangères. Le Tchad évoquait un accord prévoyant la libération de plus de 200 lycéennes enlevées il y a six mois par le groupe islamiste armé "en échange de la libération de certains partisans du groupe détenus dans les prisons nigérianes". Pourtant aujourd'hui, et même si les discussions entre représentants de la secte et du gouvernement fédéral nigérian ont repris mardi 21 octobre à N'Djamena, les attaques de Boko Haram n'ont pas cessé et la libération des otages de Chibok n'est toujours pas d'actualité.

Le 21 octobre, des hommes armés de Boko Haram ont tendu une embuscade à  des troupes de l'armée nigériane se déplaçant le long de la route reliant Maiduguri à Biu et tué un des soldats. Deux jours avant, plus d'une centaine de combattants de la secte avaient attaqué le village de Damboa.

Un accord mort-né ?
"Même si cet accord était confirmé, il doit être considéré comme temporaire et non permanent. Comme une mesure temporaire utilisée pour faciliter une éventuelle libération des otages de Chibok, estime l'analyste Ryan Cummins, membre du Nigerian security network. La situation reste inchangée sur le long terme : Boko Haram n'a subi aucune pression pour déposer les armes et le gouvernement nigérian n'est pas prêt de céder à toutes les exigences de la secte."

Par deux fois déjà, en novembre 2012 et en janvier 2013, le gouvernement nigérian avait entamé des discussions avec Boko Haram. Elles se sont à chaque fois soldées par un accord de cessez-le feu. Pourtant, et bien qu'un commandant de Boko Haram, Sheikh Abdulazeez Mohammed, a par deux fois appelé publiquement les islamistes à déposer les armes, ces accords n'ont jamais été repectés et ont tous été dénoncés par Abubakar Shekau.

Le mystérieux Danladi Ahmadu
S'exprimant en langue haoussa, Dandali Ahmadu se présente comme un membre de Boko Haram dont il serait le chef de la sécurité et conseiller. Il prétend être le représentant mandaté par la secte aux négociations de N'Djamena. L'appartenance à la secte islamique de cet individu, dont on sait peu de choses, a été remise en cause par Ahmad Slkida, un journaliste nigérian proche du mouvement et en contact avec ses hauts responsables. "Danladi Ahmadu ne fait pas partie du commandement de Boko Haram et ne parle pas en leur nom, autant que je sache," a-t-il déclaré sur Twitter.

"Dans quel monde, un gouvernement qui annonce avoir tué Shekau rencontre, deux semaines plus tard, une délégation envoyée par le même Shekau pour négocier un cessez-le-feu ?" a-t-il poursuivi précisant que, selon lui, les autorités nigérianes étaient tombées dans un piège.

Boko Haram divisé ?
Les spécialistes de Boko Haram s'opposent sur cette question. Certains voient dans le non-respect du cessez-le-feu une confirmation du caractère fragmenté de la secte. "Ceux qui négocient en font peut-être partie, mais rien ne dit qu'ils seront écoutés", explique un analyste sécuritaire. "Il est possible que ceux qui se battent sont des dissidents que même Boko Haram ne peut contrôler", a déclaré jeudi à Reuters le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Moussa Dago Mahamat.

"Bien que le sectarisme ne puisse être écarté, la communication permanente d'Abubakar Shekau donne l'image d'un commandement central uniforme, tempère Ryan Cummings. Les rapports récents suggèrent même que Ansaru [qui avait fait dissidence, NDLR] a été réintégrée au sein de Boko Haram."

Goodluck sous pression
Alors, pourquoi le gouvernement nigérian annoncerait-il un accord de cessez-le avec quelqu'un qui a si peu de crédibilité ? Depuis que les filles Chibok ont été enlevées, la campagne #BringBackOurGirls a été un vrai fardeau pour le président Goodluck Jonathan et son parti. Les critiques sur la réponse du gouvernement à cet enlèvement ont provoqué une tempête politique au Nigeria. Surtout, l'image du pays à l'extérieur s'est fortement dégradée poussant le gouvernement à solliciter l'aide du cabinet de relations publiques américain Levick. Pour un président sous pression et déterminé à se représenter en février 2015, la libération des filles de Chibok serait donc un coup médiatique inespéré.

Le rôle du Tchad
Le prétendu accord a été conclu lors de deux rencontres, les 14 et 30 septembre à N'Djamena. Outre Hassan Tukur, des représentants de la secte Boko Haram, du gouvernement camerounais étaient présents. Selon les autorités tchadiennes, la libération, le 11 octobre, des otages chinois et camerounais est également le résultat de cette médiation du président Idriss Déby Into.

Si les autorités tchadiennes s'impliquent, c'est que la présence de Boko Haram les préoccupe depuis longtemps. Cette menace les a poussées à prendre des mesures en conséquence. Des contrôles informatisés ont, par exemple, été mis en place dans les postes frontières bordant le Cameroun et des fouilles systématiques sont effectués sur chaque nouvelle personne ou véhicule pénétrant en territoire tchadien. Le Lac Tchad, seule zone frontalière avec le Nigeria, est aussi étroitement surveillé. Des vedettes y patrouillent quotidiennement et ses petites îles sont contrôlées. Pour contrer Boko Haram, les services tchadiens s'appuient également sur le renseignement et s'informent auprès des chefs tribaux locaux, surveillant au passage de près les milliers de réfugiés nigérians installés dans le pays. Des trafiquants présumés d'armes, soupçonnés d'être liés à Boko Haram, ont notamment été arrêtés.
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Par Vincent DUHEM

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