Remportées par les modernistes de Nida Tounes, les élections législatives du 26 octobre auront scellé la seconde alternance politique en trois ans. Et confirmé l'enracinement de la démocratie et de l'État de droit.
L'Histoire retiendra que la Tunisie a vécu, le 26 octobre 2014, sa seconde
alternance pacifique en l'espace de trois ans. Nida Tounes, la formation de
l'ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi, l'a emporté, très nettement, sur
les islamistes d'Ennahdha - 86 sièges contre 69, sur un total de 217. Une
prouesse pour un parti qui compte à peine plus de deux années d'existence. Pour
la première fois dans le monde arabe, les islamistes, arrivés au pouvoir
démocratiquement, en sont chassés par les mêmes moyens. On peut multiplier à
l'envi les réserves et les "mais"...
La campagne, marquée par la multiplication des coups bas et des attaques entre
candidats, n'a pas tenu ses promesses. La participation n'a pas été au
rendez-vous : 6 Tunisiens sur 10 en âge de voter - dont quelque 3 millions de
non inscrits - n'ont pas accompli leur devoir électoral. Les jeunes, fer de
lance de la révolution, ont boudé les urnes. Il n'en reste pas moins que
l'événement revêt une portée considérable. La démocratie tunisienne s'est
enracinée.
Et le vaincu a sportivement félicité le vainqueur, dès le lendemain du scrutin,
sans attendre la proclamation officielle des résultats. Les craintes sur la
régularité, la transparence et la sécurité des élections se sont finalement
révélées infondées. Le mérite en revient à la société civile, qui a réussi à
mobiliser des dizaines de milliers d'observateurs, à travers les associations
Mouraqiboun ("observateurs") et Atide, mais aussi au gouvernement de
technocrates du Premier ministre, Mehdi Jomâa, qui n'a pas ménagé ses efforts.
La police, l'armée et la garde nationale ont travaillé sans relâche pour traquer
les groupes terroristes, qui s'étaient promis de perturber les opérations de
vote ; 80 000 agents ont été déployés pour sécuriser les bureaux de vote. Et,
trois jours avant la date fatidique, deux cellules jihadistes ont été
démantelées, à Kebili, dans le sud du pays, et à Oued Ellil, dans la banlieue de
Tunis (9 tués, dont 2 agents des forces de l'ordre).
Le vote en faveur de Nida Tounes est en même temps un vote d'adhésion et un vote
contestataire. Le parti de "BCE", qui a surfé sur la popularité de son leader, a
drainé deux catégories bien distinctes de la population et les a agrégées. Un
vote aisé, celui des classes moyennes et supérieures, sensibles à son discours
sur la restauration du prestige de l'État et la défense du modèle de société
tunisien. Et un vote populaire, qui peut s'interpréter comme un vote sanction
contre les partis de la troïka, jugés responsables de la dégradation des
conditions de vie, de la persistance du chômage et de l'insécurité.
Ennahdha, de son côté, échappe à une défaite plus cuisante que laissaient
présager certains sondages secrets, début septembre. Le parti de Rached
Ghannouchi, qui recule de 20 sièges, reste au centre de l'échiquier politique,
et Nida sera, d'une façon ou d'une autre, obligé de cohabiter avec lui. Le bilan
de la troïka, les promesses non tenues et le divorce avec une partie de sa base
radicale, qui n'a jamais accepté la décision d'abandonner la présidence du
gouvernement à un Premier ministre indépendant, constituaient de sérieux
handicaps. La discipline et l'organisation remarquable du mouvement, les
meetings géants qu'il a réussis à Douz, à Bizerte et à Sfax, lui ont permis
d'inverser partiellement la tendance au reflux.
Les élections du 26 octobre ont donc consacré la bipolarisation de la scène
politique. Le miracle ou le sursaut espéré par les partis centristes et par le
Congrès pour la République (CPR), la formation du président Marzouki, ne s'est
pas produit. Ettakatol, le parti de Mustapha Ben Jaafar, qui s'était allié aux
islamistes en 2011, a perdu l'ensemble des sièges (20) qu'il détenait à la
Constituante. Al-Massar, qui avait tenté de faire vivre les couleurs de la
gauche, a subi le même sort. Al-Joumhouri, la formation d'Ahmed Néjib Chebbi,
n'a pu sauver que 1 siège sur 17, et le CPR 4 sur 29.
Une bérézina à peine atténuée par la belle performance des listes du Front
populaire de Hamma Hammami (extrême gauche), qui décrochent 15 sièges (contre 2
dans la chambre sortante). Tous ces leaders s'apprêtent maintenant à défier BCE,
le 23 novembre, pour le premier tour de l'élection présidentielle. À Nida, les
plus optimistes rêvent maintenant d'une victoire au premier tour. Car Ennahdha
ne présentera pas de candidat.
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