Au-delà des résultats du scrutin, ce politologue, membre de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, se projette dans l'après-présidentielle et esquisse les différents scénarios possibles.
Larbi Chouikha à son domicile, le 5 novembre, dans la banlieue de Tunis.
Jeune afrique : Que faut-il retenir des législatives ?
Larbi Chouikha : Tout d'abord, un taux de participation en recul :
69 % des inscrits ont voté, contre plus de 90 % en 2011. Plus de 1 million
d'électeurs ont boudé les urnes, dont beaucoup de jeunes, initiateurs du
soulèvement de 2010-2011. Il convient de s'interroger sur leur désenchantement.
Ensuite, on aurait tort de penser qu'un parti a gagné et l'autre perdu. Pour
Nida Tounes, c'est une victoire à la Pyrrhus, tandis qu'Ennahdha a tiré son
épingle du jeu. Cette dernière a su, alors qu'elle était au plus bas voilà
quelques mois, remonter la pente, ce qui la place dans une situation
confortable. Dans tous les cas, la confirmation d'une bipolarisation de la scène
politique n'est pas une bonne nouvelle pour la démocratie, dont la construction
ne peut se faire qu'avec un maximum de forces et un minimum de contestation.
Quels sont les scénarios possibles ?
Le premier serait, avec l'assentiment d'Ennahdha, le maintien d'un
gouvernement de technocrates mené par un chef de l'exécutif ayant le profil de
Mehdi Jomâa. Deuxième scénario : Nida Tounes gouverne avec toutes les
formations, mais, dans ce cas, le gouvernement serait vulnérable car il ne
disposerait pas d'une majorité suffisamment forte. La solution la plus viable
serait que Nida Tounes et Ennahdha trouvent un modus vivendi et opèrent un
rapprochement, sachant que le vote Nida Tounes traduit aussi l'expression d'un
rejet d'Ennahdha.
La classe politique peine-t-elle à admettre l'alternance ?
Il n'y a pas au sens strict de classe politique mais seulement des
dirigeants à l'ego surdimensionné, ce qui dénote une absence du sens de
l'intérêt public. Le démarrage de la campagne présidentielle le confirme. Cette
guerre des ego a contribué à jeter le discrédit sur les politiques, alors qu'il
est essentiel de recréer la confiance et de renforcer l'unité nationale, que les
responsables de l'ex-troïka dirigeante ont réussi à saper en clivant le pays
autour de thématiques identitaires. La réussite de la prochaine étape dépendra
de la capacité des gouvernants à restaurer l'autorité de l'État et ses
prérogatives, et à rétablir un lien de confiance, aussi bien entre eux qu'avec
les gouvernés.
Plusieurs partis, dont Ennahdha, ont un temps envisagé de
s'accorder sur un président consensuel. Que pensez-vous de cette initiative ?
Elle était tardive et vouée à l'échec. Elle n'aurait fait qu'accentuer la
bipolarisation. Politiquement, elle ne pouvait être retenue. Il est normal
d'avoir au premier tour d'une présidentielle un florilège de candidats.
Certains mettent en garde contre un risque d'hégémonie de
Nida Tounes, majoritaire à l'Assemblée et dont le fondateur, Béji Caïd Essebsi,
est le grand favori de la présidentielle. Est-ce là une crainte légitime ?
Rien de cela n'est fondé ; depuis 2011, la vigilance de la société civile
et la consécration de la liberté d'expression nous prémunissent contre toute
tentative d'hégémonie. Mais il faut déplorer la marginalisation des
institutions, comme l'Instance provisoire de contrôle de constitutionnalité,
dont le rôle de veille aurait été d'un grand secours dans la période actuelle.
Quels sont aujourd'hui les principaux défis ?
Indéniablement, la consolidation des institutions, qui sont essentielles.
À titre d'exemple, il est regrettable que les recommandations en matière de
financement des campagnes des partis n'aient pas été prises en compte. Cela
aurait permis de contrôler le phénomène de l'argent politique, qui a parasité
les législatives. Les médias ont aussi fait fi des décisions de la Haute
Autorité indépendante de la communication audiovisuelle [Haica]. En quête
d'audience, ils ont opéré dans la confusion la plus totale, ce qui a pesé sur le
débat d'idées. Ces éléments ont davantage pollué la vie démocratique qu'ils ne
l'ont enrichie.
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