Peut-être le puissant général Diendéré tire-t-il des ficelles en coulisses. Mais le 31 octobre, c'est bien le lieutenant-colonel Zida qui a remplacé Compaoré au sommet de l'État, avant d'être nommé Premier ministre par le président de la transition, Michel Kafando.
Yacouba Isaac Zida était numéro 2 du RSP,
la garde prétorienne de l'ancien chef d'État.
Quand il a vu cette masse en treillis équipée d'une discrète paire de lunettes
et de fines bacchantes s'adresser à la foule, le 31 octobre, et annoncer la
démission de Blaise Compaoré, Roch Marc Christian Kaboré a d'abord été surpris.
"C'est qui celui-là ?" s'est-il demandé.
Ce jour-là, l'ancien dauphin putatif de Compaoré passé à l'opposition n'est pas
le seul, parmi les milliers de Burkinabè venus réclamer la tête du président, à
s'interroger. Certains croient apercevoir le général à la retraite Kouamé
Lougué, furtivement plébiscité la veille. D'autres pensent qu'il s'agit du
général Honoré Nabéré Traoré, le chef d'état-major. Smockey, lui, se dit que
l'homme qu'il a aidé à fendre la foule et qu'il côtoie maintenant sur une
estrade improvisée n'est qu'un porte-parole parmi d'autres de l'armée. "Personne
ne le connaissait", assure le leader du Balai citoyen.
Quelques heures après ce pronunciamiento, et alors qu'une sourde bataille se
jouait en coulisses pour le contrôle de l'armée, l'inconnu de la place de la
Nation, vite rebaptisée place de la Révolution, s'adressait à son peuple, via le
petit écran, en tant que nouvel homme fort du pays. Avant d'être nommé Premier
ministre le 19 novembre et de former le gouvernement de la transition, Yacouba
Isaac Zida signait d'un "chef de l'État" ses décrets et communiqués, et se
faisait annoncer en tant que "monsieur le président du Faso" lorsqu'il pénètrait
dans une salle.
Un inconnu, Zida ? Pour le grand public, oui. Mais contrairement aux putschistes
de sinistre mémoire les plus récents, il n'était pas un capitaine sans
prérogatives ni avenir avant sa prise du pouvoir. En tant que numéro deux du
Régiment de la sécurité présidentielle (RSP), la garde prétorienne du président,
il était un pion majeur du régime Compaoré. "Il avait toute la confiance du
président", assure-t-on dans l'entourage de ce dernier, tout en ajoutant qu'il
l'a toujours...
Un militaire, un vrai
Ceux qui avaient l'habitude de partager le même avion que Compaoré lors
de voyages officiels se souviennent de lui, mais sont incapables d'en parler
plus de deux minutes. "Il s'occupait de la sécurité du président. Il était
toujours là. Mais ce n'est pas le genre de militaire à qui l'on parle", explique
l'un d'eux. Même les officiers burkinabè les plus aguerris disent très mal le
connaître. Il serait "calme", "serein", "courageux" et "sans ambitions". Ce
serait, selon un proche de Compaoré, "un bon gars", "un militaire, un vrai" -
quoique d'autres évoquent "des actes d'indiscipline".
Le mieux placé pour en parler n'a jamais été un grand bavard - et l'est encore
moins ces temps-ci. Le général Gilbert Diendéré, l'homme clé du régime déchu,
l'ex-chef d'état-major particulier de Compaoré, le patron du RSP, que l'on
soupçonne d'être aujourd'hui le vrai boss du pays, est considéré par plusieurs
sources comme le "père militaire" de Zida. C'est lui, dit-on, qui l'a fait
entrer au RSP, qui lui a confié les missions les plus délicates, et qui l'a fait
chef de corps adjoint. C'est aussi lui qui, le 30 octobre, en pleine
insurrection, l'a dépêché auprès de l'état-major de l'armée pour calmer
certaines ardeurs et montrer les muscles du RSP. Lui qui, le lendemain, lui a
demandé d'y retourner, d'y annoncer la démission de Compaoré et de prendre le
contrôle de la "junte".
Diendéré est le "grand frère" de Zida (il a 54 ans ; Zida, 49), c'est aussi son
cousin (il y a entre eux un lien familial assez flou). Tous deux sont des Mossis
de la région de Yako, une ville située à mi-distance entre Ouagadougou et la
frontière malienne. Diendéré est né à Song-Naba, Zida à Gomponsom, un chef-lieu
de commune.
Sa carrière dans l'armée, Zida la doit non pas à son père (un petit commerçant
musulman qui a eu plusieurs femmes et de nombreux enfants), mais à l'un de ses
instituteurs qui l'a pris en affection et qui, lors de son affectation loin de
Yako, l'a emmené avec lui avant de le faire entrer, à l'âge de 12 ans, au
Prytanée militaire de Kadiogo (PMK). Huit ans plus tard, c'est la révolution. Le
PMK est dissous. Zida ne parle pas politique avec ses copains et s'est converti
(seul) au protestantisme. Il poursuit ses études dans un lycée public, puis à
l'université, où il étudie l'anglais.
Foot, filles et musique
En 1993, le voilà, à 28 ans, de retour sous les drapeaux. Et pas
n'importe où : à Pô, à l'Académie militaire qui, chaque année, livre son lot de
soldats d'élite à l'armée, et dont Compaoré a fait l'un des socles de son
pouvoir. Trois ans plus tard, il entre au RSP. Ses amis d'enfance le perdent de
vue. Il enchaîne les formations à l'étranger (au Maroc, dans la fameuse école
militaire de Meknès, à Taïwan, ou encore aux États-Unis, où il a suivi en 2012
un stage chez les forces spéciales) et les missions secrètes.
Plusieurs sources affirment qu'il aurait été l'officier de liaison envoyé par
Compaoré auprès de Guillaume Soro et des rebelles ivoiriens, en 2002 et les
années suivantes. L'entourage de Soro nie, celui de Compaoré un peu moins,
tandis que celui de Laurent Gbagbo confirme. Selon des proches de ce dernier,
Zida était "l'opérationnel" en 2010, quand les mercenaires burkinabè étaient
légion en terre ivoirienne. "Il a joué un rôle majeur", confirme une source
française. Mais la vérité est qu'il ne décidait de rien. "Notre interlocuteur,
indique un conseiller de Soro, c'était Diendéré. Zida, on le connaît parce qu'on
le voyait à Kosyam et parce qu'il nous transmettait des messages. Mais avec lui,
on parlait plus foot, filles et musique que stratégie."
Qu'il ait conseillé Soro dans ses choix tactiques ou non n'est après tout qu'un
détail. Selon un officier burkinabè, "le simple fait que Zida ait joué un rôle
d'intermédiaire entre Soro et Diendéré prouve qu'il a toute la confiance de
Gilbert, et donc celle de Blaise". C'est d'ailleurs à l'issue de la crise
ivoirienne (et au lendemain des mutineries de 2011 dans les casernes burkinabè)
que Zida a été promu au grade de lieutenant-colonel et est monté dans la
hiérarchie du RSP. Il a ensuite enchaîné les missions spéciales. Le chef des
services de renseignements d'un pays voisin se souvient l'avoir reçu dans son
bureau. Il avait été missionné par Diendéré pour évoquer la sécurité
sous-régionale.
Un homme qui doit toute sa carrière au président et à son bras droit, et dont
tous ceux qui le connaissent soulignent la "loyauté", peut-il avoir fomenté un
coup contre eux ? "Impossible", tranche un proche de Compaoré. "Inenvisageable,
assure un officier général. S'il a pris le pouvoir, c'est à la demande de
Diendéré, qui savait qu'il ne pouvait pas apparaître en première ligne." De
fait, quand il a fait savoir au général Traoré, dans la nuit du 31 octobre au
1er novembre, que c'est lui, un simple lieutenant-colonel, qui allait mener la
transition et qu'il devait maintenant s'éclipser sous peine d'en payer le prix,
c'était avec l'assentiment de Diendéré.
Un charisme évident
Mais aujourd'hui, qui peut dire ce qu'il envisage, lui qui a dit à l'un
de ses récents interlocuteurs que "ce sont quand les choses se gâtent qu'on les
voit" ? Faut-il voir, dans le fait qu'il s'est entouré d'officiers qui n'ont
rien à voir avec le RSP, une volonté de s'émanciper ? Faut-il donner un sens à
la tenue couleur sable - celle de l'armée régulière - qu'il arbore désormais en
toutes occasions, au détriment du treillis vert - celui du RSP - qu'il portait
sur la place de la Nation ? Doit-on s'inquiéter de voir, à la tête d'une junte,
un homme au charisme évident et à la finesse politique avérée?
Zida n'est pas un nouveau Thomas Sankara. Il n'en a ni le parcours, ni la
vision, ni même l'envie, si l'on se fie à son entourage. Il n'a pas
d'antécédents sankaristes, même s'il a montré des gages à la société civile,
comme lorsqu'il a proposé de rebaptiser du nom de l'opposant marxiste récemment
décédé, Hama Arba Diallo, l'hôpital Blaise-Compaoré. "Il a fait preuve d'une
certaine volonté de changement", souffle-t-on à Paris. Il n'est pas non plus
comparable au Guinéen Dadis Camara ou au Malien Amadou Haya Sanogo.
À l'évidence, sa tête est bien faite et il n'est pas arrivé là où il est
aujourd'hui parce qu'il était "sympa" avec les soudards ou parce qu'il fallait
bien occuper le fauteuil... Doit-on alors le comparer à son ancien patron et
dire de lui, comme n'a pas hésité à le faire un diplomate en poste à Ouaga,
qu'il est "un Compaoré bis" - non pas le président qui semblait intouchable
après vingt-sept ans de règne, mais le jeune capitaine timide et peu disert, un
second couteau qui avait pris le pouvoir après la mort de son frère Sankara et
dont on pensait qu'il ne le garderait pas longtemps ?
Pour l'heure, Zida, qui refuse les tête-à-tête avec les journalistes, est un
mystère. "C'est un homme d'action plus que de parole", expliquent ses proches.
"Il sait ce qu'il veut et où il va", estime un médiateur ouest-africain. Ceux
qui ont eu à le rencontrer au Conseil économique et social, QG improvisé du
nouveau pouvoir situé au coeur de la capitale, évoquent un personnage attentif
et appliqué. Un technocrate en treillis qui, si l'on en croit le CV très
détaillé que distribue généreusement son entourage, parle quatre langues
(anglais, français, mooré, dioula) et maîtrise parfaitement Word et Excel. Un
homme désireux de transmettre le pouvoir aux civils et de ne pas s'éterniser en
première ligne. Mais pas à n'importe quel prix, comme le prouve sa nomination à
la tête du gouvernement.
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