Quarante-huit heures après l'interpellation de six Casques bleus surpris avec des tenues de l'armée congolaise à Goma, le lieutenant-colonel Félix Prosper Basse, porte-parole militaire de la Monusco, a confié vendredi à "Jeune Afrique" les premiers éléments de l'enquête. Interview exclusive.
Félix Prosper Basse, porte-parole militaire de la Monusco.
C'est une affaire embarrassante pour la mission onusienne en RDC. Le 26
novembre, sur la route de l'aéroport de Goma, six pilotes ukrainiens de la
Monusco ont été interpellés par les services de sécurité congolais alors qu'ils
étaient en possession des tenues militaires de la Garde républicaine (GR, garde
présidentielle congolaise).
Une enquête a été ouverte dans la foulée par les autorités provinciales du
Nord-Kivu. Et la Monusco s'est déclarée disposée à "coopérer pleinement et de
manière responsable" pour faire toute la lumière sur l'affaire. En attendant, le
lieutenant-colonel Félix Prosper Basse appelle la population congolaise "au
calme et à ne pas céder à la manipulation". Le porte-parole de la Monusco ne
voudrait pas que cet "incident" entame la qualité de la collaboration entre les
troupes onusiennes et les Forces armées de la RDC (FARDC) sur le terrain. Il
s'est confié, le 28 novembre, à Jeune Afrique.
Jeune Afrique : En sait-on aujourd'hui un peu plus sur ce
qui s'est réellement passé le 26 novembre à l'aéroport de Goma ?
Lieutenant-colonel Basse : Ce jour-là, après leur service, des
Casques bleus du contingent ukrainien de la Monusco, positionnés à l'aéroport de
Goma, repartaient à leur base lorsqu'ils ont rencontré à la sortie un de leurs
contacts qui vend des cartes de crédit téléphonique. Ce dernier était chargé en
amont de leur apporter des tenues militaires qu'ils voulaient acheter afin de
s'en servir, une fois rentrés en Ukraine, pour des parties de chasse, selon
leurs déclarations.
Le contact leur a alors présenté un autre individu, habillé en t-shirt jaune,
qui portait un sac contenant des tenues militaires, conformément à leur requête.
C'est au moment où les six Ukrainiens étaient en train de vérifier le colis dans
leur véhicule que deux autres personnes en tenue civile se sont présentées. Des
Casques bleus ont été interpellés et conduits aussitôt au quartier général de la
34e région militaire (état-major de l'armée congolaise dans le Nord-Kivu) pour
être entendus, particulièrement un parmi les six : celui qui était en contact
avec l'intermédiaire.
Peut-on considérer, au regard de premiers éléments de
l'enquête que vous disposez, qu'il existe bien un "trafic de tenues de l'armée
congolaise" dans l'est de la RDC ?
"Trafic" est un grand mot. Il faut relativiser, car nous sommes en
présence d'un acte isolé. Répréhensible certes mais il reste un acte isolé. La
Monusco n'a jamais transporté des tenues militaires de l'armée dans ses
véhicules.
C'est l'occasion aussi de rappeler qu'au sein de la mission, nous avons une
politique de tolérance zéro. Tout Casque bleu invité en RDC doit observer non
seulement des règles strictes édictées par la Monusco mais aussi les lois du
pays d'accueil. Pour le moment, nous ne pouvons pas de manière péremptoire
déclarer qui a raison ou qui a tort. Mais des éléments de l'enquête nous
permettront bientôt de savoir avec précision ce qui s'est passé et, au niveau de
la hiérarchie de la Monusco, des mesures idoines seront prises dans le cadre de
cette affaire.
Mais lorsqu'à Kinshasa certaines voix s'élèvent déjà pour
faire le lien entre cette affaire et les tenues de l'armée congolaise que l'on
retrouve parfois sur des miliciens qui commettent des exactions dans l'est du
pays, que répondez-vous ?
Je ne commente pas les déclarations des uns et des autres. Mais n'allons
pas vite pas besogne. Attendons plutôt que les autorités compétentes de la RDC
révèlent les résultats des enquêtes qui sont en train d'être menées, avant de
porter un jugement. Mais cela ne fait aucun doute : la Monusco n'est pas
impliquée dans un quelconque trafic de tenues militaires. Il n'existe pas non
plus un quelconque lien entre l'incident de l'aéroport de Goma et les uniformes
de l'armée que l'on retrouve parfois sur des miliciens. D'autant que des tenues
militaires que portent des assaillants qui commettent des crimes odieux contre
les civils ne sont pas celles de la Garde républicaine (GR) de la RDC.
Mais cet "incident" de l'aéroport de Goma ne risque-t-il
pas de porter atteinte à la collaboration sur le terrain entre les troupes
congolaises et les forces onusiennes ?
Je ne pense pas. La collaboration entre l'armée congolaise et la Monusco
dure depuis fort longtemps et a déjà donné des résultats positifs. Avec le
soutien de la population, les FARDC, appuyées par les Casques bleus, ont défait
le M23 et sont parvenus à affaiblir les rebelles ougandais des Forces
démocratiques alliées (ADF). Il existe aujourd'hui un triangle de confiance
entre populations, armée et Monusco qui doit être préservé. C'est un pacte
scellé par le sang des innocents civils, des soldats et des Casques bleus qui a
été versé ces dernières années pour rétablir la paix dans l'est de la RDC. La
collaboration entre les FARDC et la Monusco doit donc être sauvegardée et
renforcée pour le bien des populations civiles. Celles-ci ne doivent pas non
plus succomber aux tentatives de manipulation des ennemis de la paix qui mènent
une campagne de désinformation contre la Monusco.
Que sont devenus les six agents ukrainiens de la Monusco
interpellés par les services de sécurité congolais dans le cadre de cette
affaire ?
Ils ont été entendus toute l'après-midi de mercredi (26 novembre) et,
ensuite, ils sont retournés à leur base. Entretemps, les investigations se
poursuivent. Au final, dans cette affaire, il faut retenir deux choses. La
première : le contact qui les a mis en relation avec celui qui devait leur
vendre des tenues a disparu dans la nature et la police poursuit ses recherches.
La deuxième chose, que c'est un sous-officier de l'armée congolaise qui est venu
pour leur vendre les tenues militaires. Ceux qui sont mêlées dans cette affaire
sont donc présents à Goma, hormis celui qui est recherché. Nous espérons que la
police va bientôt l'arrêter pour que tous les éléments de l'enquête soient
réunis et que la lumière puisse jaillir au grand jour.
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