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Voyage à bord de Clov, le mastodonte flottant de Total

Au large des côtes angolaises, la plateforme de production d'or noir du groupe français est en phase de rodage. Mais la structure titanesque produit déjà 160 000 barils par jour.

 

 


Le projet Clov en Angola a nécessité 8 milliards de dollars d'investissements.

 


À l'horizon, on ne voit que de l'eau. Clov, la gigantesque barge de production pétrolière, de stockage et de déchargement (FPSO) inaugurée le 4 décembre par Total, flotte au large des côtes angolaises, à environ 140 km de la terre ferme, près de la frontière avec la RD Congo. Conçue et construite en quatre mois pour 8 milliards de dollars (6,5 milliards d'euros), la plateforme de 305 m de long sur 61 m de large correspond à la surface de trois terrains de foot.

Ce dernier-né des quatre FPSO du bloc 17 - après Girassol (lancé en 2001), Dalia (2006), et Pazflor (2011) - est aussi le plus éloigné du dispositif du groupe français sur le bloc 17. Un "bloc magique" selon les géologues, puisqu'il assure à lui seul un tiers de la production angolaise (deuxième producteur africain de pétrole), soit 700 000 barils par jour.

Pour Patrick Pouyanné, le directeur général du groupe, monté à bord pour l'inauguration, Clov est "une pièce maîtresse" : il donne accès à 505 millions de barils de gisement, pour un coût de production de 26 dollars par baril, hors taxes et royalties. En ces temps de chute du prix du brut (68,70 dollars le baril le 7 décembre, soit une baisse de plus de 30 % en trois mois), ce coût faible constitue un atout sérieux.

C'est sous la mer que se déroule l'essentiel des opérations. Quelque 160 000 barils remontent chaque jour via une toile d'araignée de 180 km de tuyaux sous-marins, raccordés à quinze puits installés au fond de l'océan Atlantique, à 1 350 m sous les bateaux. Les nappes de pétrole, elles, sont encore 1 000 m plus bas.

Au cours des vingt années que durera ce projet, 34 puits seront forés, parfois distants les uns des autres de plus de 30 km. Clov peut stocker jusqu'à 1,78 million de barils. Une cargaison précieuse mais dangereuse, qui mobilise en particulier le Camerounais Boniface Mbock, superintendant chargé de la sécurité sur le FPSO.

"Nous devons être sur le qui-vive vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour la protection des hommes comme de l'environnement. Fuite de gaz, incendie, départ et arrivée de bateaux et d'hélicoptères, il faut éviter tout risque", souligne ce natif de Douala qui garde en permanence un talkie-walkie à la main pour pouvoir joindre ses équipes à tout moment.

Environ une fois par semaine, un supertanker se place à 500 m de Clov et fait le plein de brut via un cordon flottant. Une opération de vingt-six heures pour 1,2 million de barils chargés, soit presque les deux tiers de la consommation journalière française de pétrole. Et qui évite au transporteur le coût et les délais d'une étape dans un port.

Comme Boniface Mbock, les 208 membres de l'équipage de Clov, à 70 % angolais, sont sur le pied de guerre depuis le début de l'année, lorsque la plupart ont embarqué à Port Amboim, au sud de Luanda, après l'assemblage final du FPSO. Remorqué jusqu'à sa position définitive en février, ancré, puis entré en production en juin, Clov est en phase de rodage.

"Deux équipes d'opérateurs se relaient pour des journées de douze heures débutant à 6 heures ou à 18 heures. Cadres et opérateurs travaillent quatre semaines d'affilée puis rentrent chez eux pour la même durée", explique Sueli Irene Silva, ingénieure de 23 ans formée au Portugal, l'une des quatre femmes présentes à bord. "Nous avons tous un "back to back", un alter ego qui tient notre poste en notre absence", explique cette Angolaise qui vit ses "jours off" dans sa ville d'origine de Lubango (près de la Namibie).

 

 

 


Grains de sable
Dans la salle de contrôle, le centre névralgique du projet, le Néerlandais Donald Feikema, le "capitaine" de Clov, le Français Philippe Sabadou, responsable de la production, et le superviseur angolais Manuel Nelo gardent un oeil sur les indicateurs de température, de pression, et de volume de production.

"Le système entier peut s'arrêter quand il y a une fuite de gaz, ou une valve cassée. Chaque interruption coûte quelque 32 000 barils, quatre heures sont nécessaires pour redémarrer le système. Nous évitons les arrêts, mais il y a parfois des grains de sable", explique Philippe Sabadou. "À chaque problème, nous essayons de trouver une solution à bord, et, si besoin, nous faisons appel à l'ingénierie, à Luanda, voire au siège, à Paris", ajoute Sueli Irene Silva, chargée du support technique.

Clov est construit sur le même principe que les trois autres FPSO. Mais pour "le petit dernier", les ingénieurs ont concocté plusieurs innovations. Il est ainsi le seul à être équipé d'une unique pompe multiphase avec laquelle il fait remonter des pétroles de qualités différentes de quatre gisements (Cravo, Lirio, Orquidea et Violeta, d'où l'appellation Clov).
Autre nouveauté, le FPSO est équipé d'un système de compression du gaz issu de l'extraction pétrolière, ce qui permet de le stocker et de produire de l'électricité à bord. Pas encore pleinement opérationnel, il devrait permettre à terme d'éviter tout "torchage" du gaz (le fait de brûler les rejets), et donc d'éviter l'émission de dioxyde de carbone. À l'avenir, le FPSO sera même relié à une usine de liquéfaction de gaz, dont le développement est piloté par Chevron - qui accuse deux ans de retard dans sa livraison.

 

 

 


Plongeurs
Pour roder ces innovations et piloter les opérations de forage, de pompage, et de raccordement des tuyaux flexibles reliant Clov aux gisements, Donald Feikema et l'équipe d'ingénierie sous-marine sont en contact permanent avec trois navires qu'on aperçoit au loin. À leur bord : des foreuses, mais aussi des robots multitâches qui effectuent toutes les opérations en eau profonde (plus de 300 m sous le niveau de la mer), zones inaccessibles aux plongeurs. Équipés d'une caméra, ces robots renvoient des images de l'état des installations sur les écrans de la salle de contrôle.

Logistique et organisation de la vie à bord sont cruciales pour le bon fonctionnement des installations. Selon leur rang, les travailleurs sont logés dans des cabines sans fenêtre d'un à trois lits. "Chaque semaine, un conteneur de nourriture arrive de Luanda avec mes commandes", résume Martin Nory, de Sodexo Angola, l'entreprise responsable de la restauration et de la propreté à bord.

"Tous les jours, il faut superviser l'accostage de plusieurs bateaux, tant pour la livraison de marchandises et de pièces techniques que pour le transport de passagers vers les autres FPSO du bloc 17 ou vers Luanda", détaille Loïc de Rebourseaux, responsable des activités maritimes dans le périmètre nautique de Clov, un rayon de 8 milles marins autour de la barge. "En mer, il y a entre 2 et 4 m de creux maximum, c'est une zone tropicale plutôt calme", observe cet ancien officier de la marine marchande.

Une tranquillité qui contraste avec l'agitation qui règne à bord du FPSO, où les équipes apprivoisent encore les gigantesques installations qu'elles pilotent. Mais dans quelques mois, Clov entrera dans sa phase de croisière, plus paisible, pour dix-neuf années d'exploitation.

Un géant (en partie) made in Angola
"Pour l'Angola, c'est une grande première. Jamais auparavant un FPSO [barge de production pétrolière, de stockage et de déchargement ] n'avait intégré des modules entiers fabriqués localement", reconnaît Isabel Saveia Ribeiro, la représentante de Sonangol lors des comités de suivi du projet Clov.

Même si la plus grande partie des installations a été construite en Corée du Sud par Daewoo, 1,6 milliard de dollars (1,3 milliard d'euros) ont été dépensés en Angola, ce qui représente 20 % des coûts du projet. Au total, 10 millions d'heures de travail ont été accomplies dans le pays.

Un module entier et des pièces pesant 64 000 tonnes ont été fabriqués localement, notamment à Port Amboim, au sud de Luanda, où une cale sèche a été construite. "Une installation qui sera réutilisable pour les prochains FPSO de Total", indique Patrick Pouyanné, le directeur général de la compagnie, qui prévoit 14 millions d'heures travaillées localement pour son nouveau projet de Kaombo.

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