De la stagnation économique en Europe au développement stratégique de son groupe en Afrique en passant par les dangers de la finance non régulée, François Pérol, dirigeant de BPCE, le deuxième groupe bancaire français, livre son analyse.
Avant d'être nommé à la tête de BPCE,
Francois Perol
a été secrétaire général adjoint de l'Elysée.
En cette mi-septembre, le grand soleil qui baigne le ciel parisien pourrait
presque permettre à François Pérol de faire signe à Emmanuel Macron, de l’autre
côté de la Seine. De son bureau de la rive gauche, le président du directoire de
BPCE, deuxième groupe bancaire français né du rapprochement en 2009 de Banque
populaire et de Caisse d’épargne, fait quasiment face au bâtiment de Bercy où
officie le ministre français de l’Économie. Les deux hommes ont été, dans un
passé pas si lointain, banquiers d’affaires à la banque Rothschild. Un point
commun parmi d’autres : tous deux sont fils de médecin, diplômés de Sciences-Po
Paris, de l’École nationale d’administration (ENA), et ils sont passés par la
prestigieuse Inspection des finances avant de rejoindre les ors de la
République. Pas du même côté de l’échiquier, toutefois.
François Pérol aura été membre des cabinets de deux ministres de l’Économie de
droite, Francis Mer puis Nicolas Sarkozy, avant de suivre ce dernier en 2007 à
l’Élysée au poste de secrétaire général adjoint chargé de l’Économie. Une
fonction qu’Emmanuel Macron occupera cinq ans plus tard, mais auprès de François
Hollande. Aujourd’hui, leur face-à-face n’est pas que géographique : il n’y a
pas plus grand contempteur que François Pérol de la politique économique menée
sous le gouvernement Valls. Et son diagnostic de l’évolution des économies
européennes n’a rien de réjouissant ni d’encourageant pour les nombreux pays
d’Afrique francophone dont les liens avec l’Europe sont encore très forts. Il
est cependant bien difficile de cerner la vision économique de ce
quinquagénaire : libéral dans son discours sur les rigidités du marché du
travail et la lourdeur de la fiscalité, ce partisan de la non-intervention de
l’État dans l’économie a paradoxalement été l’un des conseillers économiques les
plus interventionnistes, participant aux sauvetages d’Alcatel, de Bull ou de
France Télécom, mariant GDF et Suez, accélérant le rapprochement entre Banque
populaire et Caisse d’épargne – ce qui lui a d’ailleurs valu, en février 2014,
une mise en examen pour prise illégale d’intérêts…
« Visiteur occasionnel et observateur » de l’Afrique, où son groupe s’est
développé sans guère de logique depuis une quinzaine d’années, il se dit
impressionné par la croissance soutenue que connaît le continent. Et il
reconnaît, off the record, avoir été très gêné par l’idée énoncée par son mentor
Nicolas Sarkozy, mi-2007, selon laquelle l’homme africain ne serait pas entré
dans l’Histoire. Le continent, pour lui, est prometteur. Il assure vouloir y
mener une politique d’implantation plus cohérente et plus active, après avoir
passé les cinq premières années de son mandat à renforcer la solidité financière
de son groupe.
En partie, d’ailleurs, pour y accompagner ses clients, qui, de plus en plus,
s’intéressent à cette zone. Sans pression : BPCE, qui n’est pas coté en Bourse,
est maître de son temps. Début septembre, François Pérol s’est rendu au Cameroun
et au Congo-Brazzaville – deux pays où le groupe est présent –, puis en Côte
d’Ivoire, où il a bien failli s’implanter il y a trois ans en négociant une
entrée – finalement avortée – au capital de Banque Atlantique. Une manière de
poser les premières pierres d’un chantier d’avenir.
Propos recueillis par Frédéric Maury
Jeune Afrique : L’OCDE s’est alarmée en septembre 2014 du
niveau anémique de la croissance dans la zone euro, tombée à 0,8 %. Pensez-vous
possible un retour dans le rouge de l’économie européenne ?
François Pérol : En Europe, le scénario central est celui d’une
reprise très progressive. Le potentiel de croissance est plus faible aujourd’hui
qu’avant le début de la crise financière, en 2007, et il semble durablement très
réduit. Les politiques budgétaires sont fondamentalement restrictives, car
l’endettement public a atteint des niveaux difficilement dépassables. C’est un
scénario à la japonaise que nous connaissons, particulièrement en France.
Comment voyez-vous l’avenir pour la France ?
Nos prévisions sont traditionnellement plus pessimistes que le consensus,
mais, jusqu’à présent, les faits nous ont malheureusement donné raison pour
l’année 2014. Et nous anticipons moins de 1 % de croissance pour 2015.
Une spirale déflationniste est-elle possible ?
Des mécanismes déflationnistes se mettent en place. Les acteurs
économiques n’achètent pas parce qu’ils pensent que les prix vont baisser. Les
négociations salariales vont se dérouler sur la base de prévisions d’inflation
extrêmement basses, et les entreprises savent qu’elles ne pourront pas augmenter
les prix. Je ne sais pas si nous allons entrer véritablement dans une période de
déflation, mais ce qui est certain c’est que la croissance va rester durablement
faible. En France, la demande de crédits adressée aux banques est très limitée.
Nous sommes parvenus à un point tel que le secteur privé n’arrive plus à
financer les besoins du service public et que ce dernier ne peut plus recourir à
la dette. Il faut donc redonner la capacité au secteur privé de produire plus et
mieux.
Que faudrait-il améliorer ?
Il faut réformer le marché du travail et mettre en œuvre la
simplification administrative. Sur ce dernier point, on constate plutôt un
durcissement alors qu’il faudrait libérer les énergies.
Est-ce le sentiment des entrepreneurs que vous
rencontrez ?
Les chefs d’entreprise sont attentistes. Le gouvernement sous-estime
l’impact des mesures qui ont été prises au début du nouveau mandat, sur la
taxation du capital par exemple. Il y a une incompréhension généralisée en
France vis-à-vis de la politique fiscale. Vous ne croyez pas à la possibilité
d’une relance par la demande ? Non, car l’appareil productif n’est pas équipé
pour y faire face. Si vous relancez par la dépense publique, cela se traduira
par un surcroît de déficit extérieur.
Partagez-vous les recommandations du patronat français sur
le droit du travail, qui prône l’abandon des 35 heures, la suppression de jours
fériés ?
Tout à fait. Il est souhaitable qu’en la matière on privilégie les
négociations au niveau des entreprises. Si notre système était efficace,
aurions-nous 5 millions de chômeurs ? Le statu quo protège aujourd’hui ceux qui
ont un travail au détriment de ceux qui en cherchent.
Y a-t-il toujours des locomotives économiques au niveau
mondial ?
Les États-Unis n’ont pas surmonté toutes les difficultés, mais leur
économie est plus dynamique que celle de l’Europe. Et il existe toujours un
potentiel très important de croissance dans ce qu’on appelle, à tort, le monde
émergent – car certains pays, comme la Chine, ont déjà largement émergé.
Beaucoup d’États africains ont également un grand avenir.
Depuis la crise financière de 2007-2008, les banques
occidentales se sont-elles vraiment réformées ?
Les établissements régulés se sont adaptés à une évolution en profondeur
de la réglementation, notamment en ce qui concerne le capital, le mode de
financement, la résolution des difficultés. Le mouvement n’est pas terminé et ne
le sera que dans quatre ou cinq ans. Mais ce qui a été fait a fondamentalement
changé les établissements bancaires. Ainsi, le groupe BCPE a presque doublé le
montant de ses fonds propres durs, passant de 24 à 42 milliards d’euros entre
2009 et aujourd’hui. Nous avons plus de dépôts, donc un financement plus stable.
Nous avons arrêté les activités pour compte propre. Beaucoup de grandes
institutions ont suivi cette tendance.
Doit-on craindre une nouvelle crise financière ?
Je ne crois pas que le système financier international soit à l’abri de
nouvelles menaces. Pour surmonter la crise, les banques centrales ont libéré des
liquidités en quantité abondante, ce qui a produit, ici et là, des bulles
spéculatives. Ces dernières finiront par exploser. Quand ? Je ne le sais pas. Et
puis il reste une partie de l’industrie financière qui n’est pas régulée et qui
continue de faire ce que les banques faisaient hier…
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