Politiques, hommes d'affaires, leaders d'opinion... Ils sont de plus en plus nombreux à s'offrir les services de sociétés de conseil britanniques et américaines pour se façonner une image. À la veille d'élections cruciales au sud du Sahara, les contrats décrochés par ces officines peuvent atteindre le million d'euros.
Marcus Courage, Tony Blair et David Axelrod.
Pour eux, 2015 s'annonce comme un grand cru en Afrique. Une année électorale
importante au sud du Sahara, avec pas moins de cinq scrutins cruciaux (Nigeria,
Côte d'Ivoire, Guinée, Burkina Faso, Togo...). Une période durant laquelle ils
vont pouvoir vendre aux clients africains leur savoir, s'efforcer de redorer
leur blason, leur façonner une image qui leur assurera des succès décisifs.
Eux, ce sont les gourous internationaux de la communication et du lobbying, des
faiseurs de roi. Dans la région, des groupes comme Havas Worldwide (anciennement
Euro RSCG), la filiale de Bolloré ayant oeuvré à l'élection d'Alpha Condé en
Guinée en 2010, sont déjà bien implantés et réputés. Mais depuis quelque temps,
des concurrents venus de Washington et de Londres montent en puissance sur le
continent.
Au Nigeria, le principal parti de l'opposition, l'All Progressives Congress
(APC), a ainsi fait sensation en 2014 en annonçant avoir recruté, pour la
présidentielle de février prochain, AKPD Message and Media. Une société cofondée
par David Axelrod, pilote des deux campagnes victorieuses de Barack Obama aux
États-Unis.
Quant au président sortant, Goodluck Jonathan, il devrait mobiliser plusieurs
groupes internationaux, dont la société britannique Bell Pottinger, cofondée par
Tim Bell, ancien conseiller de l'ex-Premier ministre Margaret Thatcher.
Effervescence
Sur le continent, le Nigeria est justement le pays qui investit le plus dans
cette industrie de la communication et de l'image, juste devant l'Égypte et le
Maroc.
Pour défendre les causes qui lui sont chères auprès de gouvernements étrangers
et dans la presse internationale, Abuja verse chaque année plusieurs dizaines de
millions de dollars aux sociétés de lobbying, aux cabinets d'avocats et aux
compagnies de relations publiques. Les rapports du ministère américain de la
Justice ont ainsi souligné une effervescence particulière dans le secteur au
Nigeria, à l'approche des élections générales.
En juin, Levick, une entreprise de conseil en image installée à Washington, a
par exemple remporté un contrat de près de 1,2 million de dollars (880 000
euros) avec News Agency of Nigeria pour mettre en valeur le discours
gouvernemental dans la lutte contre le groupe islamiste Boko Haram.
La signature a eu lieu moins d'un an après qu'Abuja eut paraphé un autre
contrat, de quatre mois, d'une valeur de 300 000 dollars, avec Mercury, une
autre officine américaine, pour raffermir ses relations bilatérales
diplomatiques, économiques et sécuritaires avec les États-Unis.
D'autres pays du continent utilisent avantageusement le lobbying international,
comme Maurice et le Maroc. Au cours des sept dernières années, le royaume
chérifien a discrètement dépensé quelque 20 millions de dollars pour faire
pression sur le Congrès et le département d'État américain et tenter
d'influencer les médias à travers deux entités liées, The Gabriel Company et le
Moroccan-American Center for Policy.
Avec des résultats certains, note Chester Crocker, ancien secrétaire d'État
adjoint pour l'Afrique : "Depuis des décennies, les Marocains sont un partenaire
privilégié du gouvernement américain. Ils s'associent avec des lobbys et se
coordonnent très efficacement avec les pays partageant leurs idées. Et ils
recrutent parmi les personnalités les plus influentes." Sur le plan politique,
ce travail porte ses fruits.
En 2013, lorsque les États-Unis ont
proposé d'ajouter une composante droits de l'homme au mandat de la force de
maintien de la paix des Nations unies basée au Sahara occidental, le territoire
que se disputent le Maroc et le Front Polisario, Rabat a mobilisé ses soutiens
et proposé un autre plan. Les États-Unis ont rapidement renoncé. Et, en novembre
2013, le président Obama a salué l'action de Mohammed VI lors d'une rencontre
conviviale à la Maison Blanche.
Séduire
Outre les États, les partis politiques et les entreprises africaines - ou
présentes sur le continent - contribuent désormais à l'expansion du lucratif
marché du conseil en image, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Afrique. En
quête de capitaux, les groupes locaux parcourent le monde pour embaucher des
cabinets chargés de lisser leur profil dans le but de séduire des investisseurs.
Tullow Oil, qui produit 81 % de son pétrole en Afrique, fait ainsi appel aux
services de la société Portland Communications.
Même des leaders d'opinion font appel au service de ces gourous de la
communication pour faire passer leur message. Afin de changer l'image de
l'Afrique à travers le monde, le milliardaire philanthrope Mo Ibrahim et
l'ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan ont par exemple recruté
Robert Watkinson, du cabinet londonien Portland Communications.
"Le mantra sur "l'essor de l'Afrique" vient de l'Occident, constate ce dernier.
Mo Ibrahim se bat contre la vision binaire oscillant entre afropessimisme et
afro-optimisme et plaide pour l'afroréalisme" pour comprendre la complexité de
la rapide croissance économique dans certaines régions, en dépit de la
persistance des problèmes de gouvernance.
Conflits d'intérêts
Si la loi américaine oblige les entreprises de lobbying à rendre des
rapports semestriels au ministère de la Justice, en Europe, celles-ci sont à
peine réglementées.
Au Royaume-Uni, Tony Blair, le plus célèbre des lobbyistes anglais, est souvent
accusé de conflits d'intérêts. Son cabinet de conseil, Tony Blair Associates,
lui a rapporté plus de 70 millions de dollars depuis qu'il a quitté le pouvoir
en 2007.
Pour empêcher les journalistes de fouiller dans ses affaires, l'ancien Premier
ministre a mis en place un complexe réseau de sociétés regroupées au sein d'une
fiducie.
Mais il insiste sur le fait qu'il paie tous ses impôts au Royaume-Uni. Et que ce
travail finance ses activités caritatives, telles que son Initiative pour la
gouvernance en Afrique en Sierra Leone, en Guinée, au Rwanda, au Liberia et au
Malawi. Mais des zones d'ombre subsistent. Ses oeuvres philanthropiques en
Guinée, par exemple, lui donnent-elles l'influence nécessaire pour favoriser les
intérêts commerciaux de ses associés, tels que la banque JPMorgan Chase ou
l'oligarque russe Oleg Deripaska ? À Londres, c'est une question d'éthique et
non une question juridique, à moins de prouver que les organismes d'intérêt
public, qui sont exonérés d'impôt, abusent de leur statut.
Lobbying : 5 cabinets qui comptent sur le continent
Africa Practice
Créé en 2003 et basé à Londres, le groupe dirigé par Marcus Courage emploie plus
de 90 consultants. Il a conseillé des gouvernements africains, du Gabon au
Kenya.
Tony Blair Associates
L'ex-Premier ministre britannique Tony Blair fait notamment du lobbying pour les
émirats du Golfe et le Kazakhstan. Ses détracteurs dénoncent les frontières
parfois floues entre ses activités d'envoyé spécial au Moyen-Orient et celles de
sa propre entreprise, par exemple en Libye.
BTP Advisers
Trois ans après avoir fondé sa société, Mark Pursey a acquis une solide
réputation grâce à ses activités de lobbying pour les gouvernements de Côte
d'Ivoire, du Rwanda et d'Azerbaidjan.
Portland Communications
Cette firme londonienne est spécialisée dans le conseil politique et les
relations publiques. Lancée en 2001 par Tim Allan, ex-conseiller de Tony Blair,
elle fait du lobbying pour la compagnie Tullow Oil et le brasseur AB InBev.
AKPD Message and Media
Basé à Washington, ce cabinet cofondé par David Axelrod travaille pour Ed
Miliband, leader travailliste au Royaume-Uni, et pour le parti d'opposition All
Progressives Congress (APC), au Nigeria.
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