Nouvelle tête de pont d'Etisalat en Afrique francophone, le groupe marocain va prendre le contrôle de Moov. Une marque en difficulté, notamment en Côte d'Ivoire...L'opération est entrée dans la dernière ligne droite. D'ici à quelques semaines, Maroc Télécom devrait avoir obtenu toutes les autorisations des régulateurs pour prendre le contrôle des filiales ouest-africaines de sa nouvelle maison mère, Etisalat, connues sous la marque Moov. Le groupe marocain deviendra officiellement la tête de pont de l'opérateur de télécoms émirati en Afrique francophone, supervisant depuis Rabat cinq nouvelles implantations au sud du Sahara (Bénin, Côte d'Ivoire, Niger, Centrafrique, Togo), en plus de ses quatre présences historiques (Gabon, Mauritanie, Mali, Burkina Faso). Le nombre de ses clients devrait passer d'environ 32 millions à 42 millions et son chiffre d'affaires grimper d'environ 460 millions d'euros.
Pour Abdeslam Ahizoune, président du directoire de Maroc Télécom, le succès est
total. Cet homme que l'on sait soutenu par le Palais a non seulement sauvé sa
tête au moment du désengagement de Vivendi au profit des Émiratis, mais aussi
augmenté son périmètre d'action.
Toutefois, cette "promotion" pourrait se révéler moins providentielle que prévue
pour l'opérateur et son patron, abonnés aux succès depuis plus d'une décennie.
En 2014, seul Moov Togo devrait être bénéficiaire parmi ses nouvelles filiales.
Moov Bénin, qui l'an dernier dégageait de l'argent, paiera cette année des
dépenses opérationnelles en hausse liées au lancement de la 3G. En Centrafrique,
la situation sécuritaire pénalise l'activité tandis qu'au Niger le marché est
ultradominé par Airtel et Orange.
Décrochage
Le signal le plus inquiétant pour Maroc Télécom est émis depuis la Côte
d'Ivoire. Après la crise postélectorale, la filiale numéro un d'Etisalat en
Afrique francophone avait vu son nombre de clients fortement augmenter, pour
dépasser 4 millions de personnes. Moov Côte d'Ivoire avait profité des
difficultés d'Orange et, dans une moindre mesure, de MTN, dont les réseaux
avaient subi des dommages.
Mais depuis deux ans, la situation n'a cessé de se dégrader. Au 30 septembre, sa
part de marché est tombée à 17 % (3,6 millions de clients), contre près de 22 %
fin 2013. Surtout, son chiffre d'affaires ne représente plus que 13 % du total
secteur, Orange et MTN cumulant plus de 80 %. Au 31 décembre, ses revenus sur
l'année devraient d'ailleurs reculer d'au moins 15 %. Pire qu'en 2013, où ils
avaient déjà chuté de 10 %. Ses pertes devraient se creuser, passant de 5
milliards de F CFA (7 millions d'euros) l'an dernier à plus de 10 milliards.
Depuis 2012, le nombre des salariés a baissé de près de 20 %, même si une partie
des départs est due au contrat d'externalisation signé avec l'équipementier
Ericsson en 2013.
Le décrochage est si brutal qu'il pourrait remettre en question la valorisation
de l'opérateur, arrêtée dans le cadre de son transfert d'Etisalat à Maroc
Télécom. Selon une source proche du dossier, toutes les solutions sont étudiées
pour redresser les comptes. Les investissements sont gelés (moins de 8 % du
chiffre d'affaires au troisième trimestre, contre 22 % en 2013) et le budget
marketing a été entamé. Ainsi, Moov Côte d'Ivoire n'a pas sponsorisé le salon
régional Africa Telecom People, organisé en décembre à Abidjan.
Nommé directeur général à la mi-2014, Dominique Saint Jean, passé notamment par
Telkom Kenya entre 2008 et 2009, aurait néanmoins réussi à stabiliser les
résultats sur la fin de l'année. Au début du mois de janvier, le lancement d'une
solution de paiement via mobile pour le péage du troisième pont d'Abidjan - une
première mondiale partagée avec MTN - permettra à Moov de montrer qu'il rattrape
son retard dans ce domaine.
"Cette situation est le résultat d'un sous-investissement chronique dans le
réseau", explique un salarié de l'entreprise. "Sans parler des infrastructures
pour la fibre optique, dont l'importance a été largement négligée", renchérit un
ancien collaborateur. Sollicité par Jeune Afrique, le management de la filiale
n'a pas souhaité s'exprimer. Même mutisme chez Maroc Télécom, qui indique ne pas
vouloir faire de déclarations avant de prendre officiellement les rênes de
l'entreprise.
"Exécrables"
Selon des sources internes, les difficultés de l'opérateur ivoirien s'expliquent
aussi par les mauvais rapports qu'entretenait Moov avec Atlantique Télécom, le
holding chargé de la tutelle des filiales francophones d'Etisalat.
"Les relations étaient exécrables car ils n'étaient pas d'accord sur la
stratégie, confirme un ex-directeur. Atlantique Télécom exigeait plus de
rentabilité alors que la filiale misait sur une stratégie de conquête en
enchaînant les promotions." Même le plan d'investissement ne parvenait pas à
faire consensus, Atlantique Télécom insistant pour avoir le détail des
affectations avant d'autoriser le déblocage des fonds, tandis que Moov Côte
d'Ivoire réclamait plus de réactivité.
Fin 2012, Ahmed Cissé, le précédent directeur général, a demandé à ne plus
dépendre d'Atlantique Télécom, mais directement d'Etisalat. Une nouvelle
organisation qui n'a pas empêché la chute du revenu moyen par utilisateur. Sur
l'exercice 2013, il a baissé de 19 % quand ceux d'Orange et MTN n'ont reculé que
de 1 % et 3 %.
Il y a six mois, Ahmed Cissé a finalement quitté ses fonctions. Réputé proche
d'Hamed Bakayoko, actuel ministre ivoirien de l'Intérieur, et de Koné Dossongui,
fondateur de Banque Atlantique, il est devenu président du conseil
d'administration de l'opérateur. Un départ qui s'est accompagné de ceux, en
quelques mois, des directeurs chargés du business, des systèmes d'information,
du marketing et des finances. En interne, les salariés de Moov attendent
l'arrivée de Maroc Télécom avec une certaine impatience. Histoire d'envisager à
nouveau l'avenir.
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