Plombé par les choix hasardeux de ses dirigeants successifs, le transporteur sud-africain est au bord de la faillite. Il doit à tout prix renflouer ses caisses avant le 24 mars.
Les résultats financiers 2013-2014 de South African
Airways sont si
désastreux que la compagnie a renoncé à les publier...
South African Airways (SAA) se met à la diète. Ses voyageurs en classe affaires
vont devoir se passer de champagne : début janvier 2015, la compagnie
sud-africaine l'a supprimé de son menu à bord, le remplaçant par un mousseux
local moins onéreux. En déficit chronique depuis trois ans, le transporteur de
la nation Arc-en-Ciel cherche à faire des économies partout : il lui faut
trouver 1,7 milliard de rands (122 millions d'euros) avant le 24 mars 2015 pour
renflouer ses caisses et pouvoir assurer ses vols jusqu'en septembre, faute de
quoi il serait déclaré en faillite.
L'âge d'or semble révolu pour celle qui se classait pourtant jusqu'en 2010
première compagnie aérienne du continent, du point de vue du chiffre d'affaires
aussi bien que de celui du nombre de passagers. Une fois passé l'effet Coupe du
monde de football, organisée par le pays cette année-là, le transporteur a vu
son trafic dégringoler progressivement.
En 2012, il n'accueillait plus que 6,8 millions de passagers, contre près de 8,6
millions pour EgyptAir. Désormais, il est talonné par Ethiopian Airlines et
Kenya Airways, qui figuraient pourtant loin derrière lui deux à trois ans plus
tôt. Les résultats financiers de l'exercice 2013-2014, clos fin mars dernier,
sont tellement désastreux que SAA a préféré surseoir à leur publication.
Enprofondeur
Intégralement détenue par l'État sud-africain, la compagnie a été placée le 12
décembre sous l'administration directe du ministère des Finances, qui,
contrairement aux années précédentes, a refusé d'y injecter de l'argent frais.
Le ministre Nhlanhla Nene, nommé en mai, espère ainsi forcer la compagnie à se
réformer en profondeur avant qu'il ne soit trop tard.
Pour expliquer cette situation financière catastrophique, les analystes pointent
la dépréciation du rand, qui a perdu 36 % de sa valeur face au dollar entre mars
2012 et la fin de l'année 2014. Mais la cause véritable des difficultés de
l'ancien leader du ciel africain, "c'est l'instabilité managériale", estime
Cheick Tidiane Camara, du cabinet Ectar, spécialisé dans le secteur aérien du
continent. Ces trois dernières années, l'entreprise a connu trois PDG
différents.
Et un climat délétère règne au sein de son conseil d'administration, miné par
les divisions internes. Derniers exemples en date de cette gouvernance en dents
de scie : la suspension sine die du PDG Monwasibi Kalawe, remplacé pour le
moment par Nico Bezuidenhout. "Les gouvernements successifs ont, depuis 1994,
multiplié les nominations politiques de personnalités novices concernant les
questions aériennes. Du coup, elles ont souvent pris des décisions hâtives et
parfois contradictoires, empêchant le suivi d'une stratégie de long terme",
regrette Cheick Tidiane Camara.
Les lignes lancées sans discernement ces dernières années vers la Chine et
l'Inde illustrent bien les errements des directions générales successives de
SAA. Elles connaissent des pertes abyssales, à hauteur de 800 millions de rands
par an pour la seule liaison Johannesburg-Pékin. Et le non-renouvellement de la
flotte de 55 avions a entraîné une forte augmentation de ses coûts
d'exploitation. Enfin, les choix d'attribution des contrats de sous-traitance et
d'approvisionnement se sont révélés peu judicieux, entraînant l'augmentation
automatique du coût des prestations, sans que celles-ci ne soient remises en
question.
SAA avait pourtant tout pour réussir : un trafic domestique autrement plus
important que celui de ses concurrents du continent et une forte attractivité
touristique.
"Il aurait pu miser sur le marché africain, où il n'avait souvent pas droit de
cité pendant l'apartheid, et y rattraper son retard", note Cheick Tidiane
Camara. Mais pendant que SAA patinait, les autres grandes compagnies publiques
du continent se sont montrées, elles, très actives, avec une expansion africaine
ambitieuse, menée par des directions générales solides sur la durée. "C'est le
cas de Kenya Airways, où Titus Naikuni est resté aux manettes de 2003 à 2014,
mais aussi d'Ethiopian Airlines, où l'actuel PDG Tewolde Gebremariam, entré en
1985, est un pur produit maison. Et chacun de leurs États actionnaires a
respecté leur indépendance", observe Cheick Tidiane Camara.
Pour faire redécoller le transporteur sud-africain, Nico Bezuidenhout a annoncé
le 11 décembre un premier plan qui doit permettre en quatre-vingt-dix jours une
diminution des coûts de 1,3 milliard de rands par an, notamment grâce à la
renégociation de tous les contrats fournisseurs arrivés à échéance.
Le directeur général par intérim a aussi évoqué un accord commercial avec Air
China. Une mise en commun de lignes entre l'Afrique du Sud et l'empire du Milieu
qui devrait permettre à SAA d'économiser 300 millions de rands par an.
Le management étudie également des cessions d'actifs, notamment de sa filiale de
restauration à bord, Air Chefs. Déjà bien implantée sur le continent, Servair,
la filiale de catering d'Air France, n'a pas été approchée mais pourrait être
intéressée.
Une fois ces mesures effectives, SAA pourrait chercher un repreneur... tel que
l'émirati Etihad. Le 22 décembre, le transporteur sud-africain et la compagnie
d'Abu Dhabi ont renforcé leurs partenariats, avec le lancement d'une nouvelle
ligne quotidienne entre Johannesburg et l'émirat, l'extension de leurs partages
de code (de dessertes) sur 49 destinations et le regroupement de leurs
programmes de fidélité.
Privatisation
Etihad entre souvent au capital de ses partenaires, comme il l'a fait en 2012
avec Air Seychelles. Et pour Cheick Tidiane Camara, la privatisation est
justement la seule issue possible pour SAA : "Il n'y a pas de raison qu'il ne
soit pas rentable alors que les transporteurs locaux comme Kulula [filiale low
cost du sud-africain Comair] le sont. Si la société est privatisée, et si les
liens incestueux avec l'État sont rompus, elle peut reprendre sa place de
leader." Reste que les investisseurs ne se bousculeront pas au portillon tant
que la situation financière ne sera pas meilleure. "Le risque, c'est d'être
obligé de vendre dans l'urgence, à prix cassé", estime le spécialiste. Selon
lui, une éventuelle entrée au capital d'un partenaire financier n'interviendrait
pas avant la fin mars.
Trois groupes publics dans la tourmente
South African Airways n'est pas la seule entreprise publique à rencontrer de
graves problèmes : l'électricien Eskom, fortement endetté, peine à terminer
l'extension de ses deux grandes centrales de Medupi et de Kusile. Elles devaient
apporter une capacité de 4800 mégawatts chacune au réseau sud-africain, mais
accusent trois ans de retard. Une situation qui entraîne de nombreuses coupures
électriques dans le pays et inquiète beaucoup les industriels et les
investisseurs.
Quant à la poste sud-africaine (Sapo), elle fait face à des grèves à répétition,
qui ont fait fondre ses bénéfices et handicapé les entreprises qui en dépendent.
Afin de remettre en selle ces trois groupes publics cruciaux, le président Jacob
Zuma a chargé dès le 11 décembre l'exsyndicaliste et militant de l'ANC Cyril
Ramaphosa, très actif dans les affaires, de passer en revue leur stratégie.
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