Fin décembre, un petit commando prenait d'assaut le palais présidentiel de Yahya Jammeh, à Banjul. Retour sur une tentative de coup d'État qui a tourné au fiasco.
C'est une tentative de putsch improbable qui a secoué Banjul dans la nuit du 29
au 30 décembre 2014. Vers 3 heures du matin, d'après des habitants du quartier
de Marina Parade, sur la corniche nord de la capitale gambienne, une fusillade a
éclaté aux abords du palais présidentiel, la State House. En l'absence du chef
de l'État, Yahya Jammeh, en visite privée à Dubaï depuis le 26 décembre, neuf
hommes armés de fusils semi-automatiques ont tenté de prendre le contrôle du
bâtiment. Ils ont été défaits par la garde présidentielle.
Demeuré obscur pendant quelques jours, dans un pays fermé à la presse
internationale et soumis à la propagande d'État, le scénario a gagné en
précision grâce au récit qu'a livré l'un des putschistes au FBI. Papa Faal, 46
ans, est en effet parvenu à quitter le pays au lendemain de l'assaut avant de se
présenter à l'ambassade des États-Unis à Dakar. Synthétisé dans un document de
22 pages, son témoignage, corroboré par divers documents découverts par les
enquêteurs, permet de reconstituer la tentative de coup d'État, dont on avait
jusque-là des versions parcellaires, contradictoires et difficilement
vérifiables.
Selon ce vétéran de l'US Army d'origine gambienne, un premier commando ("Alpha")
avait pour objectif de forcer la porte principale du palais présidentiel. Le
second ("Bravo") était quant à lui chargé de sécuriser l'arrière du bâtiment.
Venus d'Allemagne, du Royaume-Uni et des États-Unis, pour la plupart anciens
militaires, les assaillants étaient arrivés séparément en Gambie courant
décembre après avoir communiqué par téléphone pendant plusieurs mois en
empruntant des pseudonymes. Aux premières heures du 30 décembre, ils se
retrouvent dans un bois, à quelques centaines de mètres de la présidence. Là,
ils troquent leurs habits civils pour des tenues militaires de camouflage puis
se dirigent vers le bâtiment à bord de véhicules de location.
Un plan suicidaire
Les douze hommes (en plus des neuf sur le terrain, deux complices attendent à
l'écart, à 25 km de Banjul, et un autre conjuré a fait défection avant l'assaut)
ont reçu la garantie, via leurs contacts dans les forces armées gambiennes, que
160 militaires se rallieraient à l'opération. Mais leur plan s'avère suicidaire.
À leur arrivée, la sécurité du palais a été renforcée. Les conjurés commencent
par tirer en l'air, espérant naïvement provoquer la débandade de la garde
présidentielle, mais ils sont accueillis par un feu nourri. Très vite, le
commando Alpha est décimé. Quant au commando Bravo, il se replie en catastrophe.
Les renforts espérés au sein de l'armée gambienne n'arriveront jamais. La
tentative de putsch tourne au fiasco.
Papa Faal parviendra à dénicher des habits civils et à se fondre dans la
population. Le 31 décembre, il passe la frontière sans encombre et rejoint
Dakar. L'homme, qui possède la double nationalité gambienne et américaine,
décide alors de se rendre à l'ambassade des États-Unis au Sénégal. Là, il
dévoile à l'agent de liaison du FBI la trame du plan de coup d'État. "Peut-être
a-t-il imaginé que les États-Unis, dont les relations avec la Gambie sont très
mauvaises, se montreraient conciliants envers leur action", commente Demba Jawo,
un journaliste gambien basé à Dakar.
De son côté, Yahya Jammeh a regagné Banjul dans la nuit du 30 au 31 décembre.
Dans une déclaration télévisée, il annonce aussitôt que la capitale a été
totalement sécurisée et vante la loyauté des forces armées gambiennes, dont
aucun membre, affirme-t-il, n'a pris part au coup de force. "C'est une attaque
d'un groupe de terroristes soutenus par des puissances que je ne voudrais pas
nommer, des dissidents basés aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni",
accuse-t-il. Quant à l'identité des membres du commando, les autorités
gambiennes évoquent une poignée d'exilés ayant servi par le passé dans l'armée
gambienne ou américaine (lire ci-contre). Le leader de l'opération, décédé
pendant l'assaut, serait Lamin Sanneh, un ancien officier de la garde
présidentielle qui avait quitté le pays en 2012 pour s'installer aux États-Unis.
Le cerveau : un américain d'origine gambienne
Le 1er janvier, Papa Faal quitte Dakar pour Washington, où son débriefing par
les agents du FBI va se poursuivre. Sur la base d'une photo que lui montrent les
agents fédéraux, il révèle que le financier et véritable cerveau de l'opération
- qu'il ne connaissait que sous le nom de code de "Dave" - est Cherno Njie, un
Américain de 57 ans d'origine gambienne. En perquisitionnant au domicile et dans
les bureaux de cet homme d'affaires résidant au Texas, le FBI découvre divers
documents compromettants, notamment des textes exposant la vision de l'intéressé
sur la transition politique en Gambie, qu'il se proposait d'incarner. Selon Papa
Faal, c'est lui qui devait assurer l'intérim du pouvoir en cas de succès de
l'opération.
Cherno Njie, qui n'a pas participé à l'assaut et est parvenu à quitter la Gambie
avant de regagner les États-Unis via Dakar, sera arrêté et placé en détention
dès son arrivée sur le sol américain, le 3 janvier. Inculpés pour complot visant
à déstabiliser un pays allié des États-Unis et de conspiration et possession
d'armes en vue de commettre des actes de violence, les deux hommes ont été
présentés à un tribunal le 5 janvier. Si Cherno Njie a refusé de coopérer avec
les enquêteurs, Papa Faal, qui s'avère être le neveu de l'ancien président Dawda
Jawara, destitué par Jammeh en juillet 1994, a fourni moult détails sur les
préparatifs de l'opération.
Lui-même aurait été approché en août 2014 par d'autres exilés gambiens aux
États-Unis. Bien que n'ayant pas remis les pieds en Gambie depuis vingt-trois
ans, Faal avait accepté de rejoindre les conjurés, invoquant sa solidarité avec
"le calvaire du peuple gambien", soumis à l'autoritarisme d'un chef d'État qui
"truque les élections". Il avait personnellement procédé à l'achat de plusieurs
fusils M4 semi-automatiques qui seront acheminés en Gambie par conteneur. Le
vétéran de l'US Army est arrivé sur place début décembre après avoir transité
par Dakar. Il raconte en outre que l'objectif initial des conjurés consistait à
attaquer le convoi de "Chuck" - le surnom qu'ils avaient donné à Jammeh - à
l'occasion d'un déplacement vers son village natal, Kanilai. Mais son voyage
imprévu à l'étranger fera capoter ce projet. Plutôt que de surseoir à
l'opération, ils improvisent donc une attaque contre la State House.
Jammeh, informé du putsch à l'avance ?
Dans la diaspora gambienne en exil et parmi certaines sources diplomatiques à
Dakar, le déroulement du coup de force provoque une certaine perplexité. Comment
une poignée d'hommes ont-ils imaginé pouvoir kidnapper Jammeh ou prendre le
contrôle de Banjul face à sa garde prétorienne, largement recrutée chez les
Diolas, son ethnie d'origine ? Un soupçon insistant veut qu'ils aient été trahis
par une faction de l'armée qui les avait préalablement assurés qu'elle se
rallierait à leur cause. Selon plusieurs sources au Sénégal et en Gambie, le
lieutenant-colonel Musa Savage, de la garde présidentielle, aurait été en
contact avec Lamin Sanneh et lui aurait promis son soutien avant d'informer le
chef d'état-major de l'armée du projet de coup d'État. "Je pense qu'ils sont
tombés dans un piège, analyse le journaliste Demba Jawo. Je n'exclus pas que
Jammeh ait été informé du putsch à l'avance."
Gare à la purge !
Selon les principales organisations de défense des droits de l'homme basées à
Dakar, la tentative de coup d'État contre Yahya Jammeh a donné lieu à une traque
impitoyable parmi les familles des conjurés. "La mère et le frère de Lamin
Sanneh ont été arrêtés ainsi qu'une vingtaine de personnes apparentées aux
putschistes, dont des mères de famille et un adolescent de 14 ans, témoigne
Fatou Diagne Senghor, la responsable du bureau ouest-africain de l'ONG Article
19. Voilà plusieurs jours que nous ne savons pas où ils se trouvent."
Une purge confirmée par la section sénégalaise de la Société internationale des
droits de l'homme, qui observe avec inquiétude les représailles d'un régime
connu pour sa tendance à la répression aveugle. Le 5 janvier, s'exprimant devant
ses partisans rassemblés devant le palais présidentiel, Jammeh a juré de se
"débarrasser [des putschistes] un par un, jusqu'au dernier". "Cette fois, c'est
oeil pour oeil", a-t-il ajouté, promettant de "faire un exemple".
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