Cette fidèle de Goodluck Jonathan doit
faire face à un défi sans précédent : préserver son pays de la chute du cours du
pétrole. Courtoise mais offensive, Ngozi Okonjo-Iweala, la ministre des Finances
du Nigeria, a répondu aux questions de "Jeune Afrique".
Ngozi Okonjo-Iweala est la ministre des Finances du Nigeria depuis 2011.
Femme de combat, courtoise mais
offensive, Ngozi Okonjo-Iweala mène ce qui sera sans doute la plus grande
bataille de sa carrière : maintenir à flots les comptes du Nigeria. Ministre des
Finances depuis 2011, elle est aussi chargée de la coordination des politiques
économiques du pays, lourdement affecté par l'effondrement du cours du pétrole,
passé d'environ 115 dollars le baril mi-2014 à une cinquantaine de dollars début
2015. Une mission qui paraît impossible alors que les ressources nationales
dépendent à 70 % de l'or noir et que la prévision de croissance pour 2015 a
baissé de 2,5 points. Sans oublier qu'il faut financer une guerre contre Boko
Haram.
Pleinement engagée dans les prochaines élections présidentielle et
parlementaires - repoussées du 14 février au 28 mars -, l'ex-directrice générale
de la Banque mondiale défend toutefois pied à pied le bilan économique de
Goodluck Jonathan, l'actuel chef de l'État. Jeune Afrique a longuement interrogé
cette femme d'expérience à l'occasion du Forum franco-africain pour une
croissance partagée, à Paris le 6 février, dont elle était l'une des têtes
d'affiche.
Propos recueillis par Frédéric Maury et Dorothée Thiénot
Jeune afrique : Le prix du baril a chuté très rapidement
ces derniers mois, et le Nigeria semble déjà largement affecté. Confirmez-vous
que la croissance baissera dans votre pays, et si oui, à quel point ?
Ngozi Okonjo-Iweala : La chute des prix du pétrole aura clairement un
impact sur nos finances publiques, qui en dépendent à hauteur de 70 %, et 2015
sera une année difficile pour nous. Cela dit, nous avons de la marge pour y
résister. D'abord, beaucoup de Nigérians souhaitent que nous profitions de cette
période pour diversifier nos sources de revenus. À la sortie de ce tunnel, la
principale lumière vient de ce que nous avons appris lorsque nous avons
recalculé notre PIB sur de nouvelles bases : les services représentent 51 % de
l'économie ; l'industrie, 26 %. La part de l'agriculture, elle, est passée de 34
% à 22 %, quand les télécoms ont grossi de 0,7 % à 8 % au cours de la dernière
décennie. Un nouveau secteur, l'industrie créative [cinéma, loisirs, jeux,
etc.], est apparu. Nous avons donc de la marge pour exploiter au mieux cette
diversité.
Certains diraient que c'est un peu tard et que cela aurait
pu être fait avant...
C'est vrai, nous aurions pu commencer plus tôt. Mais il n'est jamais trop
tard. Et nous n'avons pas été inactifs : il y a douze mois, avant la chute des
cours, nous avions compris que la hausse n'était pas durable et avions donc
commencé par analyser la situation pour comprendre ce qui bloquait les progrès
en commandant un rapport à McKinsey, qui a fait du très bon travail. Nous avons
fixé un objectif de collecte fiscale supplémentaire de 500 millions de dollars
[environ 367 millions d'euros] en réalisant des audits plus rapidement pour
identifier les entreprises qui ne payaient pas assez, en annulant des
dérogations et des exemptions, en élargissant la base fiscale - sachant que
seulement 25 % des PME paient des taxes.
Ce ne sont que des exemples, mais nous avons obtenu 600 millions de dollars. Et
nous pourrions encore recueillir 2,5 milliards à 3 milliards de dollars à moyen
terme. Il y a aussi la question de la TVA, qui, à 5 %, est l'une des plus basses
au monde. En la doublant, nous pourrions récupérer 3 milliards de dollars
supplémentaires.
En parallèle, nous travaillons à rendre l'administration plus efficace et moins
coûteuse. Nous adoptons des systèmes électroniques pour gérer nos finances.
L'enregistrement biométrique permet notamment d'éviter les travailleurs
fantômes. Nous en avons recensé 3 000 et avons ainsi économisé 1,2 milliard de
dollars.
Vous ne partagez donc pas le point de vue de Charles
Soludo, ancien gouverneur de la Banque centrale, qui accuse le gouvernement
actuel d'inaction ?
La plupart de ses accusations sont sans fondement et n'ont aucun sens.
Tout cela est totalement politique.
Quel est l'élément le plus menacé par la baisse des cours
: la monnaie, les finances publiques, les banques ?
Après la crise de 2008, les comptes des banques ont été nettoyés, et même
si certaines sont exposées au secteur pétrolier, la surveillance est bien
meilleure qu'avant. Amcon [Asset Management Company of Nigeria, structure de
défaisance des actifs bancaires douteux] joue également son rôle. La part des
créances douteuses est historiquement basse. En ce qui concerne la monnaie,
aucun pays pétrolier confronté à une baisse de moitié du prix du baril ne peut
la soustraire à la pression. Nous avons dévalué la nôtre de 8 % et la Banque
centrale gère très bien la situation. De surcroît, tous les investisseurs de
court terme qui souhaitaient se retirer l'ont fait.
Dans le passé, vous avez tenté de supprimer les
subventions pour les carburants, mais n'y êtes pas totalement parvenue.
Maintenant que les prix sont bas, allez-vous revenir à la charge ?
Le président a été très courageux en janvier 2012, car il savait que
c'était la bonne chose à faire pour le pays. Avant lui, d'autres avaient évité
ce sujet. Nous avons éliminé 50 % des subventions et, avec la chute des cours,
il n'en reste presque plus. Nous attendons de voir à quel niveau va se
stabiliser le prix du pétrole avant de décider.
Si Goodluck Jonathan est réélu, resterez-vous au
gouvernement ?
Je ne me pose pas la question. Je travaille et j'essaie de survivre à la
chute du prix du pétrole. Pour faire rentrer l'argent, nous avons par exemple dû
mettre en place des taxes sur les yachts et les jets privés.
Le Nigeria est-il particulièrement difficile à réformer ?
J'ai écrit Reforming the Unreformable ["Réformer l'irréformable"],
lisez-le ! Tout le monde disait que le Nigeria n'était pas réformable, mais nous
l'avons fait entre 2003 et 2006, ce qui a permis de tripler la croissance
annuelle et de nettoyer notre dette. Nous pouvons réformer le Nigeria, nous
l'avons prouvé.
Depuis l'an dernier, votre pays est la première puissance
économique africaine. Mais la pauvreté reste un problème majeur, avec les
inégalités entre le Sud et le Nord, l'insuffisante création d'emplois...
Avant la chute des cours, nous avions une croissance très élevée, de 7 %
en moyenne. Maintenant, il faut une croissance de meilleure qualité. Pour cela,
nous avons identifié les secteurs créateurs d'emploi. L'agriculture en fait
partie. Selon la Banque mondiale, elle est trois fois plus efficace pour
éradiquer la pauvreté que n'importe quel autre secteur. Akinwumi Adesina, notre
ministre de l'Agriculture, a mené une véritable révolution en matière
d'utilisation des engrais. Avant, à cause de la corruption, seulement 11 % des
paysans touchaient des subventions. Avec la mise en place du porte-monnaie
électronique, ils sont maintenant 90 %. Nous ne produisions pas de riz il y a
deux ans, nous en avons engrangé 1,2 million de tonnes métriques l'an dernier.
Sans parler du riz paddy, du manioc...
Par ailleurs, étant donné que 5,3 nouveaux emplois apparaissent par maison
construite, nous avons décidé de doper le secteur du logement en fondant une
compagnie privée - soutenue par l'État - de financement hypothécaire. En
moyenne, nous devons faire apparaître 1,8 million d'emplois chaque année. Et ce
gouvernement en fait désormais apparaître 1,4 million par an. En ce qui concerne
les inégalités en général, il faut prendre en compte le contexte historique : ce
phénomène remonte à l'indépendance.
Vous voulez dire que ces inégalités n'augmentent pas ?
Si, elles augmentent. La tendance va dans la mauvaise direction et nous
devons la stopper. Toutefois, notre coefficient Gini - qui mesure les inégalités
entre 0 et 1 - est de 0,48. Celui de l'Afrique du Sud, lui, est de 0,63 -
sachant que plus il est proche de 1, plus la société est inégale. Et celui du
Brésil, dont tout le monde dit qu'il a fait beaucoup contre la pauvreté, est de
0,55. Les gens ont une perception tellement injuste du Nigeria ! En dehors des
taxes sur les produits de luxe et de la création d'emploi, nous mettons en place
une protection sociale avec des transferts d'argent aux plus pauvres sur le
modèle brésilien [la bolsa família, une aide aux familles les plus démunies].
Cette question explique aussi l'existence de Boko Haram,
qui prospère dans l'une des zones les plus pauvres du pays...
Il faut être très prudent sur ce sujet. Il ne fait aucun doute que là où
la pauvreté sévit, les gens sont plus facilement séduits par l'extrémisme. En
Grèce, un jeune sur deux n'a pas de travail. Y a-t-il pour autant Boko Haram
là-bas ? Derrière cette secte, il y a d'autres causes fondamentales que la
pauvreté. Le nord-est du Nigeria est touché depuis longtemps par un certain
fondamentalisme, comme le rappelle le poids du mouvement Maitatsine [du nom d'un
prédicateur influent qui a déclenché dans les années 1970 et 1980 des
protestations violentes]. Mais nous n'avions jamais eu de cas
d'attentats-suicides. Ce n'est pas notre culture !
Le Sud n'a donc pas abandonné le Nord ?
Durant la période coloniale, les Britanniques ont introduit l'éducation
occidentale dans le sud du pays. Ils formaient des gens qui travaillaient avec
eux comme fonctionnaires. Ils n'ont pas fait de même dans le Nord, qui était
géré indirectement et où l'éducation islamique s'est poursuivie. Ce qui a
préparé le terrain des inégalités actuelles. Il n'est pas facile de remédier à
une telle situation. Ensuite, les États [qui composent le pays] contrôlent 48 %
de ses ressources. Or ce sont eux qui sont censés investir dans l'éducation. Que
font ces gouvernements locaux de l'argent qui leur est confié ?
Justement, qu'en font-ils ?
C'est à vous, journalistes, de leur poser cette question. Il y a trop de
paresse dans la manière dont on parle du Nigeria. Nous ne sommes pas une
République bananière. Le Sud n'abandonne pas le Nord. Nous ne pouvons pas forcer
les gouverneurs à investir dans l'éducation.
Quelle est la position du gouvernement fédéral par rapport
aux actions du Tchad, du Cameroun et du Niger contre Boko Haram ?
Il s'agit d'une action régionale demandée par notre président.
Un récent rapport de l'Union africaine sur les flux
financiers illicites a rappelé que le Nigeria était le pays du continent le plus
concerné par ces fuites. Vous estimez-vous équipés pour lutter contre ce
phénomène très préjudiciable ?
C'est un rapport très important et le Nigeria, première économie du
continent avec 25 % du PIB africain, est logiquement le plus concerné. Il y a
beaucoup de transferts de bénéfices et d'entreprises ne payant pas tous leurs
impôts qui pourraient fournir suffisamment de ressources partout en Afrique pour
financer notre développement. Nous conduisons également notre propre étude
détaillée au Nigeria. Il faudra à la fois une expertise fiscale locale et la
coopération de places financières étrangères pour avancer.
Il y a un an, les médias nigérians ont évoqué des
milliards manquants aux montants versés par NNPC, la société pétrolière
nationale, à l'État. Qu'a-t-il été fait ?
Il y a un an, Lamido Sanusi, l'ancien gouverneur de la Banque centrale, a
estimé que 49,8 milliards de dollars n'étaient pas enregistrés par la
comptabilité. Soit la moitié de nos revenus pétroliers ! Il a admis plus tard
que c'était une erreur et parlé de 20 milliards. Nous avons demandé un audit et
l'auditeur général a mandaté PwC. Conclusion : 1,48 milliard de dollars n'ont
pas été enregistrés. Ce n'est pas rien, mais cela n'a rien à voir avec les
chiffres avancés initialement. Le Nigeria est comme une démocratie sauvage où
n'importe qui peut dire n'importe quoi. Et le monde adore ça !
Quel rôle économique le Nigeria pourrait-il jouer en
Afrique de l'Ouest ?
Avec 75 % du PIB ouest-africain, nous pouvons constituer un centre
manufacturier ou financier pour la région et devenir également un centre de
consommation entraînant la croissance des autres pays.
Il est donc possible d'avoir un vrai marché commun...
Nous en avons déjà un et la Cedeao [Communauté économique des États de
l'Afrique de l'Ouest] est de plus en plus forte.
Le Nigeria semble s'opposer aux accords de partenariats
économiques [APE] proposés par l'Europe, que d'autres zones africaines ont
acceptés. Les trouvez-vous déséquilibrés?
Nous observons les APE mais nous ne les signerons pas sous leur forme
actuelle. Le Nigeria dispose d'un marché intérieur très important et il a la
capacité de produire beaucoup. Nous ne voulons pas rester dépendants des
importations et préférons éviter que les APE nous empêchent de devenir un centre
de production. Lorsque vous importez, vous exportez de l'emploi.
Quel est votre candidat préféré à la présidence de la
Banque africaine de développement ?
Celui du Nigeria, mon pays. Akinwumi Adesina est un candidat de grande
qualité, qui a transformé l'agriculture dans notre pays et qui est aussi très
bon sur les questions d'infrastructures et de finances.
Avoir ce poste de président est important pour le
Nigeria...
Tout à fait. Nous ne l'avons jamais eu.
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