L'emprunt obligataire de 20 milliards de F CFA prévu par la ville de Dakar a été suspendu à la demande de l'État sénégalais. "Jeune Afrique" décrypte l'imbroglio juridique et financier autour d'une opération censée illustrer la nouvelle maturité de la capitale du Sénégal.
Khalifa Sall est le maire de Dakar.
Le maire de Dakar, Khalifa Sall, va-t-il devoir dire adieu à son emprunt
obligataire de 20 milliards de F CFA ? Tout porte à le craindre. L'émission,
prévue le 19 février dernier et censée financer la construction du centre
commercial Félix Eboué dans la commune du Plateau, a été différée d'urgence
suite à une demande formulée par le gouvernement sénégalais deux jours avant
cette échéance. Le 5 mars, le Conseil régional de l'épargne publique et des
marchés financiers (Crepmf) s'est rendu aux arguments de l'État et a
formellement suspendu l'opération. Le régulateur boursier a même enjoint la
ville de Dakar à "se rapprocher" du ministère des Finances pour clarifier les
"objections techniques" formulées par le gouvernement.
Disconstinuité
Ces dernières concernent le niveau d'endettement et le statut juridique de
Dakar, suite à l'acte III de la décentralisation qui a modifié les prérogatives
et le niveau d'autonomie de la collectivité territoriale.
Pour le ministre des Finances sénégalais, Amadou Ba, "il faut reprendre la
procédure à zéro", en raison de la "disconstinuité institutionnelle". En effet,
un décret pris en juin 2014 (bien après la présentation du projet d'emprunt
devant le régulateur boursier) a transformé les communes de Pikine, Guédiawaye
et Rufisque, situées dans la banlieue de Dakar et dépendantes jusque-là de cette
dernière, en villes de plein exercice.
Ce qui remet en cause, expliquent les autorités gouvernementales, la validité
d'un certain nombre d'engagements communs pris par ces collectivités, notamment
en ce qui concerne la Société de patrimoine immobilier de la ville, censée
assurer la gestion du centre commercial Félix Eboué.
Des arguments balayés par Khalifa Sall : "L'État disposait de tous les éléments
en juillet 2014 quand il donnait son avis de non-objection [à l'emprunt]".
Endettement
"Si l'État doit donner une garantie à hauteur de 10 milliards de F CFA, il doit
d'abord évaluer la dette actuelle du bénéficiaire", a avancé le Premier ministre
Mahammed Dionne, le 12 mars à l'Assemblée nationale. Selon lui, la ville de
Dakar a reçu 12,3 milliards de F CFA d'avances de l'État et doit 19,7 milliards
de F CFA aux banques locales.
"L'endettement actuel nécessite un regard extrêmement exhaustif pour savoir si
la ville peut supporter une dette supplémentaire de 20 milliards de F CFA. [...]
Oui pour les financements innovants mais dans la transparence. On a vu des
villes comme Buenos Aires ou Détroit s'effondrer et au finish qui paye si ce
n'est l'État ?", s'est-il emporté.
"La mairie n'a pas besoin de la garantie du gouvernement", a rétorqué Khalifa
Sall le 13 mars, lors d'un conseil municipal extraordinaire. Dakar, qui
bénéficie déjà pour cette émission obligataire d'une garantie de 10 milliards de
F CFA apportée par l'agence américaine USAID, soutient que seuls deux emprunts
d'investissement contractés par elle, ne sont pas rentables : un prêt de 6,5
milliards de F CFA de l'AFD pour l'électrification de la ville et un autre de
9,7 milliards de CFA de la BOAD pour les services de voirie.
"Tous les autres se remboursent d'eux-mêmes", souligne Khalifa Sall, qui
n'exclut pas de saisir la cour suprême, si l'État persiste dans son opposition à
cette levée de fonds.
Crédibilité
Du côté de Bloomfield Investment, qui a noté la ville de Dakar et a accordé une
note très élevée à l'emprunt obligataire, c'est la surprise. "Le visa d'émission
avait été donné et l'attente était très forte du côté des investisseurs",
regrette Stanislas Zézé, PDG de l'agence de notation. Pour lui, la suspension de
cet emprunt ne "remet pas en question la qualité de crédit de Dakar et la
crédibilité de la levée de fonds". "Pour l'instant", glisse-t-il, au passage.
Une assurance qui n'est pas partagée par tous les acteurs du marché financier
régional. En effet, le revirement de dernière minute du gouvernement sénégalais
soulève la question de la pérenité du soutien de l'État en cas de défaut et met
en doute la solidité de l'autonomie financière dont les villes sénégalaises
étaient censées bénéficier à l'intérieur du nouveau cadre administratif,
souligne un analyste financier.
Au-delà des frontières sénégalaises, la cacophonie entourant cette émission - le
premier emprunt obligataire réalisé par une collectivité territoriale en Afrique
occidentale francophone - pourrait refroidir les ardeurs des autres métropoles
de la région, qui avaient été tentées de suivre le chemin tracé par Dakar.
Par Coralie Pierret (à Dakar) avec Joël Té-Léssia
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