Café, immobilier, hôtellerie... Malgré la mainmise des entreprises publiques sur l'économie, de plus en plus d'hommes d'affaires parviennent à s'enrichir dans des domaines en pleine expansion.
Vue du Sheraton d'Addis Abeba.
À première vue, l'Éthiopie semble être une terre hostile pour les grands
entrepreneurs. Dans le pays, les industries clés sont fermées aux groupes
étrangers et les entreprises publiques dominent les grands secteurs de
l'économie. Mais des données publiées dernièrement par New World Wealth, un
cabinet sud-africain de recherche et de conseil, en ont surpris plus d'un.
D'après cette étude, le nombre de millionnaires (en dollars) dans le pays a
augmenté de 108 % entre 2007 et 2013 pour atteindre 2 700 personnes. Une hausse
plus rapide que dans tout autre pays du continent. Surtout, le rapport, passé
presque inaperçu, révèle que ces nouveaux riches sont pour la plupart des
entrepreneurs ayant vu leurs affaires décoller ces dernières années.
Dans un pays où environ un tiers de la population vit avec moins de 1,25 dollar
par jour, New World Wealth table sur un élargissement de cette classe récemment
apparue de nouveaux riches, qui devrait compter 4 700 millionnaires en 2020.
Pour Zemedeneh Negatu, partenaire fondateur du cabinet d'audit EY Ethiopia, ceci
n'est guère surprenant lorsque l'on tient compte de la croissance du PIB du
pays, qui a été à deux chiffres pendant une grande partie de la dernière
décennie. "Par défaut, lorsque votre économie globale enregistre une telle
croissance, vous devez produire des millionnaires", explique-t-il, très
optimiste sur l'essor du secteur privé en Éthiopie.
Exportations
À Addis-Abeba, Ali Hussein Mohammed fait partie de ce nouveau club de
millionnaires. Sa société, Alfoz, a été nommée meilleure exportatrice de café en
2012, avec des revenus d'environ 1,2 milliard de birrs (environ 50 millions
d'euros). Alfoz achète l'essentiel de ses grains à la Bourse des matières
premières agricoles d'Éthiopie, les traite dans ses deux usines avant de les
expédier à l'étranger, notamment en Arabie saoudite. Le café étant la principale
filière d'exportation (en valeur) du pays, le gouvernement n'hésite pas à
soutenir les entreprises du secteur. "La politique du gouvernement est toujours
en pleine évolution, car les autorités discutent régulièrement avec nous et
prennent leurs décisions en tenant compte de nos besoins", explique Ali Hussein
Mohammed.
Alfoz entend désormais se tourner vers un autre secteur d'exportation du pays :
l'élevage. Alors que, d'après les statistiques du gouvernement, l'Éthiopie
compte la plus grande population de bétail d'Afrique subsaharienne, cette
activité ne représente que 3 % de ses exportations, selon un rapport de la
Banque mondiale de 2014. Cette institution recommande d'ailleurs d'apporter de
la valeur ajoutée aux produits d'élevage grâce à une première transformation
locale. Et c'est justement ce que compte faire Ali Hussein Mohammed avec son
projet de vente de viandes emballées.
Autre secteur en expansion : l'immobilier. En particulier à Addis-Abeba, où le
prix des terrains monte en flèche. Tsedeke Yihune, propriétaire de Flintstone
Homes, l'un des principaux promoteurs de la place, qui a débuté en 1991, a
procédé à l'ancienne. Il s'est fait connaître via une campagne publicitaire
proposant des maisons à seulement 195 000 birrs et en a livré 600 unités en deux
ans.
Mais Tsedeke critique ce modèle, qu'il n'estime pas viable : "C'est un système
pyramidal. Le développeur trouve une clientèle cible, cherche de l'argent auprès
d'une banque. Et puis construit quelques maisons qui attirent encore plus de
clients." Il préconise un modèle selon lui plus durable : choisir un quartier et
augmenter sa valeur en investissant dans des projets commerciaux et des centres
communautaires, afin d'inciter les habitants à rester.
Techniquement, Tsedeke Yihune est libre de mettre en oeuvre ce projet, mais il
hésite à le faire sans l'approbation explicite du gouvernement. "Le fait
d'attendre leur bénédiction est le plus grand obstacle au développement du
secteur privé", dit-il. Flintstone Homes gagne l'essentiel de ses revenus grâce
à des contrats avec l'État. L'entreprise lui a livré près de 1 200 unités
d'habitation et plusieurs bâtiments universitaires. Dans les trois prochaines
années, le patron pense revendre son entreprise et espère en tirer près de 50
millions d'euros. "Il y a un plafond de verre ici, explique-t-il. Vous ne pouvez
pas croître davantage sans influencer l'environnement des affaires."
Fermeture
À Addis-Abeba, la plupart des hommes d'affaires connaissent Ambassador Garment &
Trade, l'un des principaux fournisseurs de costumes pour hommes, détenu par Seid
Mohammed Berhan. Ce chef d'entreprise, né de parents agriculteurs et qui compte
85 magasins à travers le pays, affirme que son succès dépend en grande partie de
la politique gouvernementale : la fermeture de certains secteurs (banques,
transports, télécoms, distribution...) aux investisseurs étrangers.
Ce qui a permis à des sociétés comme Ambassador de gagner des parts de marché
qui auraient autrement été englouties par les entreprises occidentales. Seid
Mohammed Birhan possède également l'hôtel quatre étoiles Ambassador (avec des
chambres à 190 euros la nuit en moyenne) et Ambassador Real Estate, qui
construit actuellement 100 maisons, 500 appartements et un centre commercial non
loin de la primature.
Mais s'il soutient la stratégie de développement du gouvernement, Seid Mohammed
Berhan en souligne aussi les limites. D'après lui, ce système fermé ne permet
pas d'attirer des investisseurs et des partenaires étrangers. Dans ce domaine,
"les défis à relever sont encore nombreux", conclut-il.
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