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le pari tentant mais risqué du marché de l’occasion en Afrique

Entre 4 et 5 millions de voitures de seconde main arrivent chaque année en Afrique pour y être revendues. Un marché largement détenu par le secteur informel, mais que les distributeurs officiels commencent à convoiter.

 

 


A Cotonou, première porte d'entrée des véhicules d'occasion en Afrique de l'Ouest.

 


Pour doper les ventes de sa branche de distribution automobile, en baisse en 2014 – après la perte des contrats Nissan et la chute du marché algérien notamment -, CFAO, leader du secteur en Afrique francophone, a annoncé en mars un projet de développement de ses activités sur le marché de l’occasion, dont il était jusqu’alors presque absent.

« Nous cherchons à structurer une offre de qualité, avec des automobiles récentes, certifiées et finançables par des particuliers qui ne peuvent pas encore s’offrir de véhicules neufs », expliquait son directeur général, Richard Bielle, lors d’un entretien à Jeune Afrique. Le gâteau de l’occasion est alléchant, même s’il est difficile à estimer précisément.

D’après le chercheur Martin Rosenfeld, de l’Université libre de Bruxelles, de 4 à 5 millions de véhicules de seconde main quittent chaque année le continent européen pour être vendus en Afrique. Selon CFAO, 450 000 voitures d’occasion seraient écoulées en Afrique de l’Ouest. À Cotonou, première porte d’entrée des véhicules d’occasion en Afrique de l’Ouest, les dirigeants du port estiment les arrivées à plus de 340 000 chaque année. Et via Douala, selon les chiffres annuels des douanes, ce sont au moins 80 000 voitures de seconde main par an qui entrent au Cameroun.

« Rien qu’à Dakar environ 78 000 voitures d’occasion ont été importées en 2014, dont environ 35 000 ont ensuite pris les chemins du Mali et du Niger, et 30 000 sont écoulées au Sénégal… À titre de comparaison, seulement de 2 000 à 3 000 véhicules neufs sont vendus dans le pays de la Teranga », indique Jérôme Barth, directeur général de la Sénégalaise de l’automobile (SDA).

Seulement voilà, ce commerce florissant est entre les mains du secteur de l’informel, et échappe aux distributeurs bien établis comme CFAO, Tractafric Motors Corporation ou Soeximex, concentrés sur le neuf. Ces derniers ne sont présents dans l’occasion que pour y vendre les véhicules issus de leurs propres flottes de location longue durée, soit à peine 800 voitures par an pour CFAO en Afrique francophone et seulement 250 pour SDA au Sénégal – une infime proportion du parc de l’occasion. Toute autre incursion des distributeurs officiels s’est pour le moment soldée par un échec cuisant.

« Comment lutter contre des vendeurs de bord de route, souvent bien connectés politiquement, disposant de réseaux d’approvisionnement et de dédouanement à prix cassés, et très inventifs pour bidouiller des options de contrefaçon ou bricoler des réparations souvent dangereuses ? », interroge Jérôme Barth.

 

 

 


Classe moyenne
« Au Sénégal, la plupart des distributeurs d’occasion travaillent avec des réseaux familiaux, souvent originaires de la région de Touba, ayant des ramifications dans la diaspora en Europe et aux États-Unis. À Dakar, on peut trouver par leur intermédiaire une Citroën C5 de cinq ans d’âge pour 3,5 millions de F CFA [5 335 euros]. C’est moitié moins que le prix qui devrait être exigé si la voiture arrivait par des canaux qui respectent la réglementation », s’indigne le directeur général de SDA, qui a jeté l’éponge après plusieurs tentatives infructueuses au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

« Le consommateur africain est malheureusement avant tout sensible au prix. Un client de Dakar ou d’Abidjan qui veut une belle Mercedes ne réfléchira pas longtemps si un vendeur de bord de route, qui lui mentira sur sa capacité à entretenir le véhicule et ses prétendues garanties, lui propose un tarif inférieur de 30 % à celui d’un vendeur officiel », regrette Jérôme Barth, qui souhaite « bien du courage » à Richard Bielle. Et d’ajouter que « la plupart des autorités de régulation ne jouent pas leur rôle, et parfois même reviennent sur les réglementations, comme au Sénégal, où le gouvernement a porté de cinq à huit ans l’ancienneté autorisée des véhicules importés, ce qui a entraîné un afflux de voitures ou de camions vétustes et a dopé les filières informelles. »

Joël Lenglat, chargé de préparer le projet de CFAO dans l’occasion, est conscient des difficultés qui l’attendent face à cette concurrence souvent peu scrupuleuse. « Nous voulons nous lancer d’abord dans un ou deux pays où le marché est plus structuré et réglementé, et où il y a une classe moyenne importante, comme la Côte d’Ivoire et le Cameroun. Des marchés comme le Nigeria, le Bénin ou le Sénégal, où les filières informelles sont extrêmement puissantes, nous semblent pour le moment hors d’atteinte », explique-t-il depuis le siège de CFAO à Sèvres, près de Paris.

Si son groupe, filiale de Toyota Tsusho Corporation, la maison de négoce de Toyota, s’intéresse autant au marché de l’occasion, c’est aussi parce que la marque japonaise, dont il distribue les véhicules neufs, y règne sans conteste : « En Afrique subsaharienne francophone, au Ghana et au Nigeria, plus de 50 % des voitures vendues d’occasion sont des Toyota. Souvent, les propriétaires de ces véhicules veulent les faire réparer dans nos concessions, car ils sont conscients des défaillances des vendeurs à qui ils les ont achetés », explique Joël Lenglat.

Il y a là une opportunité pour CFAO d’être le principal bénéficiaire d’une formalisation du secteur. Selon lui, « l’offre actuelle dans l’occasion ne correspond pas à une partie des attentes de la classe moyenne africaine, qui veut des véhicules moins vieux, à l’âge et à l’origine bien connus, avec des pièces détachées de qualité et une capacité d’entretien garantie. CFAO a fait ses preuves dans la logistique et la maintenance, aussi pourrons-nous répondre à ces besoins », espère-t-il.

« Showrooms »

Pour Joël Lenglat, le passage du mode B to B (vente à des entreprises) au B to C (vente à des particuliers) est le principal défi du projet qu’il pilote, tout comme celui des autres grands distributeurs en Afrique subsaharienne. « Nous devrons former des équipes spécialisées dans la vente aux particuliers et l’occasion, prévoit-il. Nous prenons notre temps ; nous attendons beaucoup des études commandées par CFAO sur la consommation des ménages africains en matière automobile. De nombreuses questions restent en suspens. Par exemple, nous n’avons pas encore décidé d’installer ou non nos futurs « showrooms occasion » dans les mêmes succursales que le neuf. »

CFAO examine attentivement les sites internet qui se sont lancés pour vendre des véhicules d’occasion, comme Carmudi.com, une filiale du groupe allemand Rocket Internet présente à Dakar et à Abidjan, ou ceux d’abord consacrés aux besoins des expatriés, mais aujourd’hui consultés par une plus large clientèle, tel ExpatDakar.com. « Nous offrons un service de mise en relation de clients sélectifs – qui veulent être sûrs de la disponibilité des véhicules et de pouvoir les choisir – avec des vendeurs sérieux que nous visitons régulièrement, qu’ils soient dans le formel ou l’informel », fait valoir Julien Riou, responsable Afrique de l’Ouest de Carmudi.

Le site, lancé en juillet 2014, se rémunère en frais de service auprès des vendeurs. Il présente déjà un catalogue de 6 500 voitures au Sénégal, et de 7 300 en Côte d’Ivoire ; 90 % d’entre elles sont d’occasion. « La transaction est finalisée chez le vendeur, puisqu’il est impensable d’acheter un véhicule d’occasion sans aller le voir sur place », explique Julien Riou, qui envisage à terme d’offrir aux concessionnaires de l’occasion des services complémentaires pour les accompagner dans leur marketing et la relation client.
« Des sites comme Carmudi et ExpatDakar aident à structurer le marché et à faire le tri, mais ils ne représentent pas encore de gros volumes », souligne toutefois Jérôme Barth, tout en reconnaissant qu’ils n’en sont qu’à leurs débuts. Julien Riou pense quant à lui à la possibilité pour les grands distributeurs comme CFAO d’affilier des distributeurs d’occasion. « Les grands groupes pourraient « franchiser » les distributeurs d’occasion, les structurer, en les accompagnant sur les pièces détachées, les garanties et le service après-vente », suggère-t-il. En attendant, l’informel a encore de beaux jours devant lui.

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