Face à Boko Haram, les Camerounais resserrent les rangs. Pendant qu'une nouvelle génération émerge, prête à assurer la relève et à assumer son rôle dans le développement du pays.
Les militaires déployés dans l'Extrême-Nord
ne sentent pas soutenus par leurs compatriotes
Sur l’acier vert olive de son casque, il
a gravé le prénom de ses filles, Grâce et Jeanne. Pour sa femme ce sera plutôt
un tendre Douyem [« mon amour », en langue bassa, parlée dans le centre du
Cameroun]. Engagé dans la guerre que mène l’armée camerounaise contre la secte
islamiste Boko Haram, le sous-officier Jacques Minyem souffre chaque jour un peu
plus d’être séparé de sa famille. Il commence à trouver le temps long depuis que
son unité a été déployée dans l’Extrême-Nord, en appui d’un régiment
d’artillerie.
Ce matin, il a juste envie d’être loin, le plus loin possible de cette terre
brûlée par le soleil et ravagée par la fureur des hordes terroristes. Le moral
flanche, malgré la beauté quasi lunaire du paysage qu’il scrute à longueur de
journée à travers ses jumelles. Il ne sait plus vraiment depuis combien de temps
il campe sur le flanc de cette montagne qui surplombe le repaire de l’ennemi,
invisible, établi de l’autre côté de la frontière, au Nigeria. « Vous pensez
qu’à Yaoundé et à Douala ils savent à quel point nous nous sacrifions pour
défendre notre pays ? » s’enquiert le trentenaire auprès des journalistes de
passage, incapables de lui répondre.
Ce sentiment d’absence de considération de la part de leurs compatriotes semble
frapper toutes les unités de l’armée régulière camerounaise. Les militaires
veulent se sentir aimés et soutenus même si, depuis l’indépendance, le peuple a
davantage appris à craindre l’uniforme qu’à le respecter. Dès lors, comment
demander à la population de se mobiliser pour soutenir l’effort de guerre ?
Plusieurs journalistes, de retour de la ligne de front, ont tenté de répondre à
ce défi. Réunis autour de Guibai Gatama, patron de l’hebdomadaire L’OEil du
Sahel, ils ont organisé le 28 février une « grande marche patriotique »,
inspirée de celle du 11 janvier à Paris, après l’attaque terroriste contre le
journal satirique Charlie Hebdo. Sauf qu’à Yaoundé la classe politique se méfie
de ces marées humaines qui peuvent déferler en vagues incontrôlables.
Fauve chatouilleux
Depuis les révolutions arabes, les manifestations de cette nature sont
purement et simplement interdites. Le projet est donc très vite menacé par un
pouvoir suspicieux de nature, subitement dressé sur ses pattes arrière, tel un
fauve chatouilleux prêt à bondir. Quant à l’opposition, plus sclérosée et
autiste que jamais, elle préfère tirer à boulets rouges sur ces médias «
instrumentalisés » par le pouvoir.
Finalement rassuré par les bonnes intentions des organisateurs, le gouvernement
autorise le rassemblement, quelques heures seulement avant son lancement. En
partance pour un « court séjour privé » à Genève, en Suisse, le président Paul
Biya reporte néanmoins son voyage de quelques jours. Méfiance, soupçons, luttes
partisanes… Le Cameroun ressemble à une citadelle assiégée.
Les théories du complot, véhiculées par certaines chaînes de télévision,
prospèrent sur fond d’arrière-pensées politiciennes. Face au phénomène Boko
Haram, des hommes politiques irresponsables agitent le spectre de l’ennemi
intérieur. Jouant à se faire peur, ils prétendent qu’il s’agit d’une rébellion
opérant depuis le Grand Nord… Une allégation vite reprise par Cavaye Yéguié
Djibril, le président de l’Assemblée nationale, qui se garde bien d’en apporter
la moindre preuve. « Beaucoup sont parmi nous ! Certains font même preuve
d’activisme pour montrer aux autorités qu’ils travaillent contre la menace. Ils
collaborent pourtant avec l’ennemi. Dénonçons-les ! » martelait-il le 11 juin
2014.
Perchoir
Trois mois plus tard, Cavaye, lui-même originaire de l’Extrême-Nord,
s’insurge pourtant contre une autre figure politique, plus zélée que lui. Dans
son « Appel de la Lékié [un département de la région du Centre] », publié en
septembre 2014, Henri Eyébé Ayissi, le fougueux ministre délégué à la Présidence
chargé du contrôle supérieur de l’État, s’élève contre « les stratégies
sournoises des complices nationaux de Boko Haram et leurs tentatives de
déstabiliser les institutions avec l’appui de certaines puissances ».
Avant d’ajouter : « Cette secte agit sans doute à partir de l’étranger, mais
elle a des relais locaux. Nous appelons à ce que la guerre totale soit menée
contre ces derniers. Nous entendons, pour ce faire, travailler sur le terrain
afin que les populations coopèrent avec les autorités. Qu’elles renseignent sur
tout comportement suspect. » Ambiance… Bien que jugés stigmatisants pour la
population du Grand Nord, ces propos ne font pas réagir le chef de l’État.
Cavaye est reconduit en mars 2014, entamant ainsi sa vingt-deuxième année au
perchoir, tandis qu’Henri Eyébé Ayissi conserve son portefeuille. Les tenants de
la méthode forte ont d’ailleurs été confortés par le vote, en décembre 2014,
d’une loi antiterroriste controversée. Largement dominé par le Rassemblement
démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), le Parlement est resté
sourd aux critiques de la société civile dénonçant un texte fourre-tout aux
sanctions disproportionnées.
C’est le cas pour le secteur des médias, où l’infraction d' »apologie du
terrorisme » est passible d’une peine allant de quinze à vingt ans
d’emprisonnement pouvant être accompagnée d’une amende de 25 à 50 millions de F
CFA (d’environ 38 000 à 76 000 euros). Dans le même temps, la vieille antienne
du complot occidental anime les conversations : un ennemi extérieur tenterait de
déstabiliser le pouvoir. Visée, la France doit même démentir à deux reprises,
par la voix de son ambassadrice Christine Robichon, les allégations lui prêtant
une complicité avec Boko Haram.
Bonnes intentions
La guerre contre les jihadistes bouleverse également l’ordre des
priorités. Les dossiers économiques sont peu à peu relégués au second plan. Le
pays a pourtant encore beaucoup d’efforts à faire pour être en phase avec les
objectifs définis pour 2035 dans le Document de stratégie pour la croissance et
l’emploi. Cinq ans après la publication de ce dernier, les performances
économiques du Cameroun stagnent en deçà des 7 % de moyenne annuelle visés.
Les résultats obtenus en matière d’attractivité pour les investissements
étrangers, de développement de la production locale ou de maîtrise de la dépense
publique sont également mitigés. Le DSCE n’ayant pas produit les effets
escomptés, il a fallu donner une nouvelle impulsion à l’économie. D’où le Plan
d’urgence pour l’accélération de la croissance économique, doté de près de 1 000
milliards de F CFA, lancé par le gouvernement début 2014 pour que la hausse du
PIB dépasse 6 %.
Les autorités ont rendu publics leurs objectifs : amélioration du climat des
affaires, mesures incitant les entreprises à embaucher de jeunes diplômés… Sans
véritable bond en avant, pour l’instant, puisque la croissance s’est arrêtée à
5,1 % en 2014 selon le FMI. Et aucune amélioration n’est attendue cette année.
Les réformes susceptibles de favoriser la création de richesse restent donc à
mettre en oeuvre, tant pour lutter contre les lenteurs administratives et la
corruption que pour améliorer le fonctionnement de l’appareil judiciaire. Encore
faudrait-il remettre l’économie, éclipsée par la guerre contre le terrorisme, au
coeur des préoccupations.
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