Sans doute n'imaginait-il pas que la tâche serait à ce point difficile. Mais Pascal Affi N'Guessan s'obstine et compte bien porter les couleurs du FPI à la présidentielle d'octobre. Sauf qu'il sait désormais que ses ennemis les plus féroces appartiennent à son propre camp.
Pascal Affi N’Guessan, 62 ans, est un homme difficile à cerner. Il parle d’un
ton monocorde, n’affiche aucune passion, fait preuve d’un pragmatisme parfois
déroutant, semble ne vivre que pour le travail, lit peu de romans et n’a pas
vraiment de mentor politique. En cette douce journée de juin, tout de même, il a
le sourire. Le voici à Paris, où il n’a pas mis les pieds depuis 2009, reçu à
l’Élysée, au Quai d’Orsay et même par le Medef en qualité de candidat du Front
populaire ivoirien (FPI) à la présidentielle du mois d’octobre.
On comprend sa satisfaction. Qui aurait cru, le 5 août 2013, qu’il serait
aujourd’hui dans cette position ? Ce jour-là, Affi N’Guessan bénéficie, avec
treize autres détenus pro-Gbagbo, d’une remise en liberté provisoire. C’est un
homme affaibli, marqué par plus de deux années passées à la prison de Bouna (à
600 km au nord d’Abidjan) qui se présente devant les Ivoiriens. Tous ont encore
en tête les images d’une vidéo publiée sur YouTube au début de sa détention.
Affi y apparaît en chemise blanche. Autour de lui, six de ses codétenus, dont
Michel Gbagbo, le fils de l’ancien président ivoirien. Morou Ouattara, un ancien
chef rebelle en charge des Forces nouvelles à Bouna, leur fait la leçon, puis
leur demande de faire des pompes. Affi N’Guessan s’exécute difficilement pendant
deux interminables minutes avant de se relever avec tout autant de difficulté. À
sa sortie de prison, Michel Gbagbo décidera de porter plainte contre Guillaume
Soro, alors Premier ministre. Pas lui. « Ce n’est pas dans mon caractère. Je
considère que faire souffrir un homme est d’abord un échec du bourreau », nous
explique-til. Persuadé que l’avenir du parti repose sur ses épaules et qu’il lui
faut prendre ses responsabilités, il pense aussi au futur. Et à cette question
qui, aujourd’hui, divise le FPI : comment convaincre les militants qu’il faut
continuer sans Laurent Gbagbo, emprisonné à La Haye ? Sans doute n’imaginait-il
pas que cela serait si difficile.
En décembre 2014, le FPI doit organiser un congrès et élire un nouveau
président. Après avoir parcouru le pays et entamé la restructuration d’un parti
décimé par la crise postélectorale, Affi N’Guessan pense se présenter seul, ou
presque. Mais en octobre, un dossier de candidature est déposé au nom de Laurent
Gbagbo. Affi s’y oppose, considérant que l’on se sert du nom de l’ancien
président, et utilise par deux fois la justice pour faire invalider la
procédure. Pour les pro-Gbagbo, désormais appelés « frondeurs », cet épisode
marque un point de non-retour. « C’est du jamais-vu ! Il s’est mis dans une
impasse », juge un socialiste français qui connaît Gbagbo (et Affi N’Guessan)
depuis la fin des années 1980.
« Affi nourrit une haine pour celui qui l’a fait en le nommant Premier ministre
alors qu’il n’était pas le militant le plus chevronné », s’insurge un proche de
Gbagbo. Quand il accède à la primature, en octobre 2000, ce fils de petit
planteur de café et de cacao est tout de même un cadre important du FPI, un
parti créé dans la clandestinité en 1982 et qu’il a rejoint en 1986. Mais il
appartient à la deuxième génération, celle qui n’a pas forcément lu Marx ou
Lénine et qui évolue dans l’ombre des « historiques » que sont Laurent Gbagbo,
Aboudramane Sangaré ou Émile Boga Doudou. Certes, en 1988, il met en place une
base du FPI au sein de l’École nationale supérieure des postes et
télécommunications d’Abidjan (dont il a été étudiant puis directeur d’études),
puis intègre la direction nationale du parti en 1990. La même année, il se fait
élire maire dans sa ville de Bongouanou, en pays agni-baoulé, à 200 km au nord
d’Abidjan. C’est son premier fait d’armes. « S’imposer avec l’étiquette du FPI
sur les terres du PDCI [l’ancien parti unique], ce n’est pas rien », se
félicite-til. Pas suffisant toutefois pour gagner la confiance des caciques du
parti. Défait aux municipales de 1996, Affi N’Guessan retrouve son poste à Côte
d’Ivoire Télécom (qu’il avait rejoint en 1993), tout en poursuivant son activité
militante.
Gbagbo et son fidèle Sangaré ne le perdent pas de vue. En fins stratèges, tous
deux estiment qu’il faut donner une assise nationale à un parti qui manque de
profils technocrates. Affi, l’ami ingénieur des télécoms, est le candidat idéal.
« En 1999, Gbagbo m’a dit : “Si je suis élu président, Affi sera mon Premier
ministre” », raconte un de ses intimes. Après le coup d’État du général Robert
Gueï, en décembre 1999, Affi N’Guessan entre au gouvernement de transition comme
ministre de l’Industrie et du Tourisme avec l’étiquette FPI. Gbagbo en fait
ensuite son directeur de campagne, remporte le scrutin d’octobre 2000 et le
nomme à la primature. « Avec Gbagbo bété, Mamadou Koulibaly [président de
l’Assemblée nationale] dioula et Affi N’Guessan agni, nous avions mis en place
un triptyque régional pour élargir la base et asseoir notre pouvoir », se
souvient un cacique du régime.
Arrive ensuite l’épisode qui constitue, pour la grande majorité des observateurs
de la vie politique ivoirienne, le tournant dans les relations entre Pascal Affi
N’Guessan et Laurent Gbagbo : la signature des accords de Linas-Marcoussis.
Réunis près de Paris du 15 au 24 janvier 2003, les partis politiques et les
différents groupes rebelles impliqués dans le conflit qui couve depuis le 19
septembre 2002 parviennent dans l’euphorie à un accord. Celui-ci maintient le
chef de l’État à son poste jusqu’au terme de son mandat mais lui impose de
partager le pouvoir avec un Premier ministre de consensus chargé de former un
gouvernement d’union nationale. Deux jours plus tard, à Paris, l’accord est
avalisé par les chefs d’État, dont Gbagbo, mais est immédiatement contesté par
ses partisans à Abidjan.
Avec Laurent Gbagbo (à dr.), en octobre
2009. Détenu à La Haye, l'ex président n'a pour l'instant
pas souhaité recevoir son ancien Premier ministre.
Président du FPI depuis juillet 2001, Affi N’Guessan fut signataire en lieu et
place de Gbagbo à Marcoussis. Aujourd’hui, il apparaît clairement qu’il a pris
certaines libertés par rapport à la ligne du régime. L’ancien président ivoirien
a depuis confié à plusieurs de ses proches ne pas avoir été consulté par son
Premier ministre avant la signature de l’accord. Affi lui-même le concède. « Je
l’ai eu au téléphone une seule fois, à mi-chemin des négociations. Nous avons
fait le point sur le déroulement des discussions et il m’a dit : “Faites ce que
vous avez à faire.” J’ai considéré que je devais jouer ma partition. » Pourquoi
?«Le pays était coupé en deux,le régime acculé, c’était la seule chose à faire.
Si les termes de Marcoussis avaient été appliqués, on aurait peut-être pu
normaliser le pays et aller à la présidentielle en 2005, comme cela était prévu.
Finalement, en nommant le chef de la rébellion, Guillaume Soro, au poste de
Premier ministre en 2007, Gbagbo a été contraint de faire encore plus de
concessions. »
Les partisans de Gbagbo l’accusent, de leur côté, de ne pas avoir résisté aux
pressions de la France, d’avoir joué sa carte personnelle, d’avoir cru comme
beaucoup que l’ancien président était « cuit » et qu’il fallait se placer. «
Affi est un pragmatique, pense un fin connaisseur de la vie politique. Avec ce
qu’il faut d’opportunisme. Il savait que son salut ne devait pas dépendre de
Gbagbo. » « Son passage à la primature lui est monté la tête », renchérit un
diplomate européen en poste à Abidjan après 2004.
Si Gbagbo le maintient malgré tout à la direction du FPI, la relation de
confiance entre les deux hommes est rompue. À Abidjan, Affi N’Guessan est
placardisé au sein d’un parti dont le véritable chef se nomme Simone Gbagbo, qui
considère que les signataires de Marcoussis sont des traîtres à la cause. La
première dame l’aurait même giflé. L’intéressé dément, tout comme deux proches
de Simone – « C’était plus une gifle verbale », dit l’un d’eux. Affi N’Guessan
précise : « Notre contentieux ne date pas de cette époque. Nos tempéraments
étaient trop différents pour que l’on s’entende. Elle était sanguine, et moi,
plus rationnel. »
Jusqu’à la présidentielle de 2010, Pascal Affi N’Guessan encaisse. Son passage à
la primature l’a rendu ambitieux et il veut se servir de ce purgatoire pour se
déplacer sur le terrain et se faire connaître des militants de base. Aujourd’hui
encore, il est persuadé que cette période peut lui servir à asseoir sa
légitimité, lui qui n’a pas vu Gbagbo depuis le 30 mars 2011 (il a demandé à le
voir à La Haye mais l’ancien président ne lui a toujours pas répondu). Et force
est de constater que, à quatre mois de la présidentielle, il lui reste encore du
travail – il doit supporter les invectives de ses opposants à chacune de ses
apparitions publiques. S’il est parvenu à s’entourer de quelques ténors du
régime Gbagbo (Marcel Gossio, autrefois à la tête du Port autonome d’Abidjan,
Augustin Komoé, directeur de cabinet de Gbagbo dans les années 1980, et Alphonse
Voho Sahi, son ex-conseiller spécial, l’ont rejoint), la majorité de ceux qui
représentent l’orthodoxie du parti lui a déclaré la guerre. Et un fin
connaisseur du FPI de conclure : « Affi est persuadé que son heure a sonné. Mais
comment peut-il espérer compter sur la base du parti ? »
Sa position face au régime est également délicate. Non pas qu’il regrette
d’avoir choisi la voie du dialogue. Mais il éprouve toutes les peines du monde à
expliquer pourquoi Fraternité matin, le quotidien progouvernemental, couvre sa
campagne. Et se voit contraint de critiquer le verdict des pro-Gbagbo, qui ne
l’a condamné qu’à dix-huit mois de prison avec sursis quand Sangaré a pris cinq
ans ferme. « Les peines ont été distribuées à la tête du client, non en fonction
des faits mais de leur attitude visà-vis du pouvoir », dit-il. Pas facile d’être
un opposant quand, au sein de votre propre parti, on affirme que vous êtes
l’homme que le pouvoir a choisi et décidé d’affronter en 2015…
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