Lorsqu'elle a été nommée ministre, en février, cette fille d'industriel savait qu'elle n'aurait pas la tâche facile. Les attentats du Bardo et de Sousse n'ont pas arrangé les choses…
Selma Elloumi, en décembre 2014.
Rien ne prédestinait Selma Elloumi à entrer en politique, encore moins au
gouvernement. Celle qui, dès 2012, a rejoint son frère Faouzi parmi les
fondateurs de Nidaa Tounes avait pris en charge la gestion financière du parti
sans chercher, contrairement à beaucoup de ses pairs, à tenir un rôle ou à
acquérir une visibilité publique. Elle a pourtant été nommée, en février 2015,
au poste délicat de ministre du Tourisme.
Du business à la politique
Bien que discrète, Selma Elloumi, 59 ans, est une femme de caractère.
C’est à force de travail qu’elle s’est forgé un prénom au sein du fabricant
industriel de câbles Chakira, pièce majeure du conglomérat créé par son père,
Taoufik, et qui affiche un chiffre d’affaires global de plus de 1 milliard
d’euros en 2014. Diplômée en gestion et management, elle y a débuté dans les
années 1980 comme chef de projet du secteur câblage.
Mais c’est surtout dans l’exploitation de 240 hectares de production fruitière,
à Nabeul, qu’elle s’est investie. Et particulièrement dans la production de
fraises, au point de développer, sous le label Stifen, une filière de surgelés
destinés à l’export et à l’industrie laitière. « Un système de gouvernance basé
sur les meilleures pratiques ne serait rien s’il n’y avait les compétences
humaines ; une culture d’entreprise en synergie avec celle du pays, la formation
et l’épanouissement des collaborateurs à travers des objectifs communs sont
essentiels », précisait-elle en 2013, alors qu’elle veillait aux décisions
stratégiques du holding familial – responsabilité reprise aujourd’hui par ses
frères.
Et voilà qu’elle préside aux destinées du tourisme tunisien. Personne ne
l’attendait dans cette fonction. Certains doutaient même de sa carrière
politique, suggérant que la candidature aux législatives d’octobre 2014 de cette
mère de trois enfants n’était là que pour satisfaire à l’obligation de parité
sur les listes électorales. Imperturbable, droite dans ses escarpins, Selma
Elloumi a mené une campagne convaincante et remporté un siège dans la
circonscription de Nabeul 1 ; elle n’aura cependant pas le temps d’être députée.
Pressentie par ses amis du parti pour être, au lendemain de l’élection
présidentielle de décembre 2014, conseillère au sein du cabinet présidentiel à
Carthage, elle sera désignée ministre de la Formation professionnelle et de
l’Emploi dans le premier gouvernement de Habib Essid, pour finalement se voir
attribuer le portefeuille du Tourisme et de l’Artisanat dans la deuxième équipe
du chef du gouvernement, validée par l’Assemblée des représentants du peuple
(ARP).
Redresser le tourisme : un véritable challenge
Redresser et réformer un secteur en déclin mais néanmoins majeur pour
l’économie tunisienne (jusqu’en 2011, il représentait 7 % du PIB) était déjà un
véritable défi en soi. Après la tenue d’élections, la Tunisie se préparait à un
retour à la stabilité et à une relance économique qui devaient rétablir un
tourisme convalescent : les recettes de 2014 étaient inférieures de 14,5 % à
celles de 2010, mais supérieures de 6,4 % à celles de 2013. Dans ce contexte,
Selma Elloumi pouvait se consacrer à des réformes en douceur et enfin préparer
avec son collègue des Transports l’ouverture du ciel. Mais c’était compter sans
l’intrusion du terrorisme ciblant des lieux touristiques…
L’attaque sanglante du musée du Bardo, le 18 mars, qui a fait 24 victimes, a
contraint la ministre à revoir ses priorités. Elle a dû courir les salons
internationaux de tourisme, rencontrer des ambassadeurs, intervenir sur des
médias étrangers… Dans cette tentative du tout pour le tout afin de sauver la
haute saison, elle reçoit sa première volée de bois vert : la campagne de
publicité pour la Tunisie sur les marchés émetteurs européens est critiquée pour
son aspect peu innovant. « Faire dire à des vedettes ou à Monsieur Tout-le-Monde
« cet été j’irai en Tunisie », c’est d’une platitude ! Il aurait fallu faire
preuve d’audace et cibler une clientèle jeune », affirme un conseiller en
communication.
Face aux catastrophes, des mesures exceptionnelles
Reste que Selma Elloumi n’a pas eu le temps de mesurer les effets de
cette campagne. Le massacre de 38 personnes sur une plage de Sousse, le 26 juin,
a sonné le glas de la saison 2015. Annulation immédiate de la Tunisie comme
escale de croisières, annulation de plus de 60 % des réservations d’hôtel, mise
à l’index du pays, devenu zone à risque, fermeture d’établissements… Dans cette
tourmente qu’elle désigne comme une « catastrophe » – car « si le secteur
s’écroule, l’économie s’écroule » -, la ministre prend dans l’urgence des
mesures exceptionnelles pour préserver le secteur hôtelier : elle impose le
report du remboursement des emprunts pour 2015 et 2016 – une ardoise de l’ordre
3 milliards de dinars (environ 1,4 milliard d’euros) -, l’octroi de nouveaux
crédits exceptionnels remboursables sur sept ans, la réduction du taux de TVA de
12 % à 8 %, le rééchelonnement des créances auprès du fisc et des fournisseurs
d’eau et d’électricité.
Des failles déjà mises en avant auparavant
Quelque 400 000 emplois directs et 600 000 indirects dépendent de la
bonne santé du tourisme, mais l’amalgame entre hôtellerie et produit touristique
a largement nui au renouvellement et à la montée en gamme du secteur. Depuis le
soulèvement de 2011, la destination Tunisie n’a jamais retrouvé sa vitesse de
croisière – en 2010, elle enregistrait 7 millions de visiteurs. Les voyagistes,
frileux face à la révolution tunisienne même si elle bénéficiait d’une certaine
sympathie, ont surtout profité d’un contexte politique confus et de l’émergence
de l’islamisme pour exercer une forte pression sur les prix, transformant les
transactions en une véritable braderie.
« La priorité est bien de rebâtir un vrai positionnement pour la Tunisie »,
résume un expert du secteur, tandis que des voyagistes français reçus par Selma
Elloumi se montraient plus pragmatiques en dressant la liste des handicaps de la
Tunisie : d’abord la propreté des sites et des plages, puis la peur des
Européens vis-à-vis des pays musulmans, la vétusté des infrastructures, la
faiblesse des investissements… Tout cela, Selma Elloumi le sait bien. Une
analyse prospective du tourisme tunisien à l’horizon 2015, élaborée en 2010 par
le cabinet d’études international Roland Berger, document de référence de tous
ses prédécesseurs, rappelait déjà toutes ces failles.
À son arrivée au ministère, Selma Elloumi comptait d’ailleurs poursuivre et
enrichir la stratégie « Vision 3+1 », articulée en quatre axes (diversification
régionale de l’offre, qualité et formation, refonte de l’image, le « +1 » étant
la modernisation), présentée par son prédécesseur Amel Karboul. Aujourd’hui,
elle n’a d’autre choix que de faire front, parer aux urgences, anticiper
l’imprévisible tout en créant des conditions optimales pour 2016. Rien n’est
gagné. Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du monde, résume : « On peut espérer
que la volonté politique de Mme Elloumi sera suffisamment forte pour entraîner
tout le secteur derrière elle. »
Du business à la politique : dates clés de la biographie de Selma Elloumi
1956 : née le 5 juin à Tunis
1981 : diplôme de management à l’Institut supérieur de gestion de Tunis
1994 : création de Stifen (produits surgelés)
2012 : membre du bureau exécutif et trésorière de Nidaa Tounes
Octobre 2014 : élue députée dans la circonscription de Nabeul 1
Février 2015 : ministre du Tourisme et de l’Artisanat
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