Des rizières verdoyantes courent à perte de vue, encadrées par des grappes d'arbres: à Agboville, la Côte d'Ivoire se bat pour assurer sa souveraineté alimentaire, qu'entrave l'agriculture d'exportation et notamment celle du cacao dont le pays est premier producteur mondial.
Un agriculteur ivoirien récolte son riz, à
Agboville dans le sud de la Côte d'Ivoire.
« Ici, nous faisons trois récoltes par an », pour 600 tonnes récoltées au total,
se réjouit Siaka Tano, un agriculteur de 42 ans. Un exemple à suivre pour
atteindre « l’autosuffisance en riz » dès 2016, le leitmotiv du chef de l’Etat
Alassane Ouattara, candidat et favori de la présidentielle d’octobre.
En 2014, la Côte d’Ivoire, aux terres si fertiles, a importé 900.000 tonnes de
riz, malgré des récoltes record de 1,34 million de tonnes.
« On n’a jamais produit autant », se félicite Yacouba Dembelé, le directeur
général de l’Office national de développement de la riziculture (ONDR), qui
appelle toutefois à davantage d’investissements dans « la maîtrise de l’eau ».
« 85% du riz ivoirien dépend encore des pluies », déplore-t-il, ce qui grève les
rendements.
« Made in Côte d’Ivoire »
Située à une petite heure d’Abidjan, Agboville relève de la carte postale
rizicole « made in Côte d’Ivoire ». Un barrage construit il y a des décennies
permet une irrigation constante. Des agriculteurs, disséminés dans les rizières,
s’affairent, dans le brouhaha des croassements de milliers de grenouilles.
Mais leurs efforts sont mal récompensés: « naturellement meilleur » que le riz
d’importation car « sans produits de conservation », selon Didier Otokoré, un
ancien footballeur de renom actif à Agboville, le riz local est moins blanc que
son concurrent asiatique et souvent plus cher, ce qui refroidit les
consommateurs.
La faute aux subventions allouées aux producteurs en Thaïlande, au Vietnam, aux
Etats-Unis, ou encore en Inde, les géants du riz, regrette Mory Diabaté, le PDG
d’une entreprise rizicole. « L’Etat ivoirien doit accompagner notre secteur, qui
peut créer un million d’emplois », assure-t-il.
Un tel coup de pouce permettrait également de rééquilibrer la balance
commerciale. L’an passé, la Côte d’Ivoire a importé pour 250 milliards de francs
CFA (381 millions d’euros) de riz, soit un quart de ses achats de produits
alimentaires de base (1.000 milliards FCFA – 1,5 milliard d’euros, l’équivalent
de 20% du budget national en 2015), déplore un cadre du ministère de
l’Agriculture.
« Appât du gain »
Le pays est pourtant connu pour ses sols fertiles et fait figure de géant
vert régional: premier producteur mondial de cacao (35% des récoltes totales) –
l’or brun représentant plus de 50% des recettes d’exportation ivoiriennes – la
Côte d’Ivoire est également le deuxième producteur mondial de noix de cajou et
un des leaders dans l’huile de palme. Le pays produit également du caoutchouc.
« Les planteurs se sont laissés appâter par le gain, abandonnant les cultures
vivrières au profit des cultures pérennes », déplore Jean-Baptiste Koffi,
président de l’Union fédérale des consommateurs de Côte d’Ivoire.
« Ils se sont lancés dans des spéculations comme le cacao, plus récemment
l’hévéa, alors que la population meurt de faim, avec seulement un repas par jour
», poursuit-il. Ce qui a engendré une augmentation des prix et la grogne des
Ivoiriens.
En 2008, des émeutes de la faim avaient secoué le pays, en raison d’une flambée
des prix des biens de consommation, dont le riz, le lait, la viande et le
poisson, alors importés à plus de 50%.
Sept ans plus tard, nombre d’Ivoiriens dénoncent encore la cherté de la vie dans
un pays connaissant une très forte croissance, de l’ordre de 9% l’an depuis
2012.
La situation est d’autant plus préoccupante que la population à nourrir croît
fortement, avec 5,4 enfants par famille, selon les résultats du dernier
recensement communiqués jeudi. La Côte d’Ivoire compte désormais 23 millions
d’habitants.
Les Ivoiriens vivent aussi davantage en ville. Alors qu’il y a 30 ans, le pays
comptait « quatre ruraux pour un urbain », ce ratio diminue fortement, ce qui
met davantage la pression sur les cultivateurs, note Soumaïla Bredoumy, en
charge de la sécurité alimentaire au ministère de l’Agriculture.
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