L’Egypte vient d’inaugurer son nouveau canal de Suez. Un projet que le gouvernement présente comme celui qui va ranimer l’économie du pays. L’économiste Camille Sari reste sceptique. Notamment sur la création du million d’emplois promis. Pour atteindre ce chiffre, il faudrait, selon lui, multiplier par cent la surface actuelle aménagée à l’investissement industriel et à la logistique qui borde le canal, aménager de nouvelles zones, voire créer de nouvelles villes.
L’économiste Camille Sari
Certains analystes égyptiens tempèrent les qualificatifs
pompeux donnés au projet du nouveau canal de Suez inauguré aujourd’hui par le
président égyptien Abdelfatah Al Sissi. D’après vous, l’ouverture de ce nouveau
canal va-t-elle ranimer l’économie égyptienne en berne depuis 2011 ?
Permettez-moi de dire tout d’abord que cet ouvrage n’est pas la
construction d’un grand canal comme on le présente, mais uniquement l’ouverture
d’une « embouchure », qui n’est certes pas négligeable. Ce grand ouvrage qui a
coûté 4 milliards de dollars est financé à hauteur de 30 à 40% par les
investissements indirects des pays du Golf soit environ 34 milliards de dollars.
Le canal de Suez est plus sûr que le détroit d’Ormuz qui se situe dans le Golf
persique, car le pays, malgré certaines attaques terroristes observées, restent
un pays stable. Je souhaiterais dire là, qu’il y a un coup de chapeau à donner
au président Al Sissi et à ses collaborateurs qui ont assuré une
super-communication et une médiatisation excellente de ce projet. Mais cela
est-il suffisant pour rassurer les investisseurs étrangers pour venir
s’installer en Egypte ? Si Abdelfatah Al Sissi a réussi sa communication, rien
ne garanti l’arrivée des investisseurs. De plus, ces investisseurs doivent
récupérer leurs bénéfices et le reste des recettes iront dans les caisses de
l’Etat, pour être utilisé où et comment ? Du point de vue économique, le
résultat effectif qui découlera du lancement de ce projet est l’augmentation de
20% du trafic maritime du canal, et la réduction des heures d’attentes des
navires dans le canal à 3 heures au lieu de 11h, ce qui permettrait d’économiser
20% des hydrocarbures utilisées actuellement. Ceci aura plus de retombées sur le
commerce international que sur l’activité économique nationale, et ceux ne sont
pas ces 20% de trafic ou ces 20% de réduction de la consommation énergétique qui
va faire vivre le peuple.
Mais la création des zones d’investissements industriels
et de logistiques qui bordent le canal générerait un million d’emplois selon le
gouvernement égyptien. N’est-ce pas une bonne nouvelle pour la relance de
l’économie du pays ?
Je vais exprimer à nouveau mon scepticisme quant à la création annoncée
d’un million d’emplois. Mon rôle d’économiste n’est pas celui de dire que tout
est beau et que tout va bien, mais plutôt celui de mesurer les choses. Je peux
affirmer que ce projet peut créer une grande dynamique économique et générer des
emplois qui seront loin du chiffre d’un million. Pour atteindre ce chiffre, il
faudrait multiplier par cent la surface actuelle aménagée à l’investissement
industriel et à la logistique qui borde le canal, aménager de nouvelles zones,
voire créer de nouvelles villes.
Pourquoi les pays du Golf (Kuweit, Arabie Saoudite et
Emirats Arabie Unis), injectent-ils de grandes sommes pour aider l’Egypte après
lui avoir payé en grande partie l’achat de 24 avions rafales et deux frégates à
la France pour 5 milliards d’euros en février dernier?
Les pays du golf sont en train d’établir une alliance stratégique avec
l’Egypte, notamment après la signature de l’accord sur le nucléaire iranien le
14 juillet dernier. Depuis cette date, les pays du Golf ont bien compris qu’ils
ne pourront plus compter sur le parapluie américain, qui n’a plus besoin de
cette région pétrolière après qu’il est devenu premier producteur mondial de
pétrole grâce à sa production en gaz de schiste. Les pays du Golf, aussi riches
soient-ils, ont besoin de s’appuyer sur une force régionale en cas d’éventuelle
agression. L’Egypte avec ses 84 millions d’habitants et son armée solide, qui
est une armée de combat, se présente comme leur seul protecteur dans la région.
Mais je tiens à préciser que les pays du Golf, et non le Qatar qui soutenait le
président islamiste déchu Mohamed Morsi et qui a retiré ses milliards d’aide à
l’Egypte après son renversement, le font d’une manière indirecte. C’est-à-dire,
par les sociétés et les autres formes d’investissements. Nous avons vu cet appui
khalidji à l’Egypte lors des rachats des rafales à la France, mais aussi, lors
du Sommet International pour les Investisseurs qui a drainé en mars dernier à
Charm el-Cheikh 74 milliards de dollars de promesses d’investissement dont 34
mds de dollars proviendraient des ces pays du Golf.
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