Partenaire privilégié du pays, le diamantaire sud-africain a revu sa stratégie. Ses activités de tri et de négoce s'organisent désormais depuis la capitale, Gaborone. Et tout le monde y gagne.
La Diamond Trading Company Botswana (DTCB) est une coentreprise
créée à 50-50 par De Beers et l'État.
Au beau milieu du bush botswanais, le building moderne en verre teinté se dresse
comme un mirage. Ce bâtiment ultrasécurisé, situé à deux kilomètres de
l’aéroport de Gaborone, abrite la plus grande richesse du Botswana : ses
diamants. En 2006, le pays a décidé de construire son propre centre de tri pour
ces cristaux de carbone pur extraits de ses quatre mines alors en activité :
Jwaneng (le gisement le plus riche au monde), Orapa (le plus vaste et le plus
ancien du Botswana, exploité depuis 1971), ainsi que deux autres plus modestes,
Damtshaa (dont la fermeture a été annoncée fin 2015) et Letlhakane.
Au total, la production nationale représentait en 2014 plus de 24,2 millions de
carats (ce qui la classait au deuxième rang mondial, derrière celle de la
Russie) et 65 % de l’approvisionnement de la compagnie De Beers, partenaire
privilégié du pays depuis son indépendance en 1966. Le groupe, né en Afrique du
Sud, filiale d’Anglo American, est actionnaire à 50 % avec l’État de deux
entreprises : Debswana, chargée de l’exploitation des quatre mines, et Diamond
Trading Company Botswana (DTCB), fondée pour valoriser les diamants.
Un building sous haute-surveillance
Pour franchir les grilles de la DTCB, il faut montrer patte blanche.
Chaque visiteur se fait scanner et fouiller dans un sas de sécurité ; il sera
ensuite suivi en permanence par plus de 550 caméras, installées tout le long de
l’itinéraire des diamants, mais aussi dans les bureaux des cadres, tous
surveillés. Mieux vaut avoir prévenu longtemps à l’avance ses interlocuteurs de
sa visite pour que le sacro-saint badge soit prêt. Sans ce sésame, impossible
d’ouvrir la trentaine de portes sécurisées qui indiquent aux surveillants la
position de chacun dans le bâtiment.
Au premier étage, on pénètre dans une immense salle de quelque 500 m2 à
l’épaisse moquette bleue : le centre de tri et de valorisation des diamants.
Plus de 230 trieurs – tous botswanais – y étudient en silence, penchés sur des
loupes et des microscopes, des petits tas de diamants. « Chaque groupe de quatre
trieurs reçoit une boîte en provenance de l’une des quatre mines botswanaises,
qui contient autour de 7 200 carats de diamants bruts [non taillés], un carat
pesant 0,2 g », explique doctement le chef trieur Kgosietsile Mosiman Ewapula,
dans l’entreprise depuis vingt-trois ans. « Ils ont ensuite deux semaines pour
les classer dans l’une des 250 catégories de diamants bruts instituées par De
Beers en fonction des 4 C : carat [taille], clarté [transparence], couleur et
coupe. »
Le tri prend du temps : pierre grise, blanche, bleue ou rose, petite ou grande,
translucide ou plus opaque… Chaque diamant est étudié avec soin pour être classé
dans la bonne catégorie. Tous les trieurs sont passés par la Diamond Academy,
une formation maison de six mois organisée sur le site. Pas question de perdre
un seul carat de cette manne, qui représente autour de 40 % du PIB du Botswana.
« Chaque matin et chaque soir, tous les diamants en cours de tri sont pesés au
milligramme près. Pas un trieur ne sort de la pièce s’il en manque un seul »,
précise Kgosietsile Mosiman Ewapula.
Le recrutement des «sightsolders»
« Après le tri, nous sommes passés en 2011 à la seconde étape de notre programme
de valorisation locale, avec la commercialisation de diamants depuis le Botswana
», se félicite le Britannique Kevin Goodrem, vice-président de la valorisation à
De Beers. Depuis quatre ans, en effet, les diamants bruts qui sortent du centre
de tri ne sont plus expédiés à Londres, mais taillés et vendus sur place sous la
supervision de 82 sightholders venus s’installer à Gaborone.
Ces derniers assurent en outre la formation de 92 Botswanais, qui dure de cinq à
dix ans tant ce métier est complexe. Du temps où De Beers était en situation de
quasi-monopole – du début du XXe siècle aux années 1970 -, ils organisaient les
« vues » (sights en anglais), des rencontres au cours desquelles étaient
présentés à une centaine de clients triés sur le volet des assortiments de
diamants à prix fixe – à prendre ou à laisser.
Alors que le marché s’est libéralisé et que l’entreprise n’en maîtrise plus que
30 %, talonnée par son principal concurrent, le russe Alrosa, les sightholders
de la compagnie gardent toujours un rôle crucial d’appréciation de la
conjoncture et de fixation des prix, qu’ils réévaluent toutes les cinq semaines,
même si leurs clients peuvent se fournir ailleurs.
« Chaque sightholder se spécialise sur un segment du marché défini par la
nomenclature maison, qui compte 11 000 sous-catégories, des diamants taillés
destinés à l’industrie, pour la découpe ou la gravure, et vendus autour de 30
centimes le carat, aux plus belles pierres de grande taille et de couleur rare,
utilisées par la haute joaillerie, et dont le prix peut aller jusqu’à 1 million
de dollars le carat », détaille Kevin Goodrem. Sachant que les 20 % des diamants
les plus chers représentent 80 % de la valeur totale de la production.
« Désormais, précise le responsable, les diamants triés issus de nos mines
botswanaises, mais aussi de toutes nos mines en Namibie, en Afrique du Sud et au
Canada, arrivent ici en avion et sont commercialisés à partir de Gaborone. » Car
si l’installation au Botswana des sightholders a été encouragée par les
autorités du pays, soucieuses de remonter la chaîne de valeur et de favoriser
l’emploi local, elle répond aussi et surtout à une logique économique,
logistique et sécuritaire pour De Beers. « Il est nécessaire de rassembler tous
nos diamants bruts en un seul lieu avant de les commercialiser, afin que chaque
sightholder dispose de l’ensemble des pierres de son segment de marché, explique
Kevin Goodrem. Chaque mine, et même chaque pays, a un profil spécifique : on n’y
extrait pas en même quantité les différents types de diamants. »
Les deux tiers de la production provenant du Botswana, il était logique de
choisir ce pays pour y rassembler les pierres : moins de trajets pour les
diamants, c’est moins de dépenses, et un risque réduit de perte ou de vol. Le
responsable de De Beers met également en avant les bonnes performances du pays
en matière de gouvernance : placé au 31e rang mondial à l’Indice de perception
de la corruption de Transparency International, il est le mieux classé du
continent.
Pour tirer profit de cet avantage, le pays a développé sa propre filière de
tailleurs de diamants, appuyée depuis 2008 par un programme financé par De Beers
et le gouvernement. Vingt-deux entreprises botswanaises, homologuées par la
compagnie, se sont installées à proximité de l’aéroport ou dans le centre de la
capitale. Mais si les pierres sont commercialisées depuis Gaborone, les
tailleurs de diamants botswanais n’en sont pas moins en concurrence avec le
monde entier. Après avoir montré aux clients les pierres brutes, le sightholder
a toute latitude pour choisir le tailleur le plus adapté.
Une conjoncture morose
Jadis dominé par Anvers, New York et Tel-Aviv, le secteur de la taille de
diamants est aujourd’hui disséminé. Si les anciennes places ont gardé ce marché
pour les diamants les plus rares, l’Inde, la Chine et le Vietnam occupent
désormais celui des pierres les moins onéreuses. Les tailleurs de Gaborone sont
plutôt bien positionnés sur les pierres de 5 à 10 carats destinés à la
joaillerie, pour lesquelles le coût de la main-d’œuvre – plus élevé qu’en Asie –
comptera pour une petite part de la valeur du diamant.
Mais ce segment ne représente pas une grande part de marché, et moins de 10 %
des diamants de De Beers sont taillés dans la capitale botswanaise. « Avec la
conjoncture morose actuelle, qui a vu les prix baisser de 17 % en un an, deux
tailleurs ont dû mettre la clé sous la porte en 2015, même si d’autres candidats
tentent de se faire une place dans ce secteur difficile », observe Kevin
Goodrem.
Dans ce contexte, la diversification de l’économie botswanaise s’avère plus que
jamais nécessaire. Si l’industrie diamantifère a permis aux secteurs des
services, de la finance, des transports et de l’immobilier de décoller à
Gaborone, beaucoup reste à faire dans le pays. Or la production des gisements
est en baisse et leur exploitation plus coûteuse, notamment à cause des
sécheresses de 2014 et de 2015 et de l’ancienneté des mines.
Le développement d’autres filières minières pourrait permettre de sortir de
cette dépendance au diamant : le sous-sol du Botswana recèle en effet bien
d’autres richesses, en particulier du cuivre, du fer, du charbon et de
l’uranium. À condition d’améliorer les voies de communication et d’augmenter la
production d’électricité nécessaire à leur exploitation. En octobre 2015, le
président Ian Khama a fait un premier pas sur cette voie en annonçant que le
pays allait puiser dans ses réserves de change pour investir dans les
infrastructures et relancer l’économie.
UN SECTEUR QUI A PERDU SON ÉCLAT
La baisse de la demande en joaillerie (liée au ralentissement de la
croissance en Chine) couplée à la hausse de la production des mines russes et
des diamants de synthèse, utilisés essentiellement dans l’industrie, n’est pas
sans conséquence sur le continent. En particulier au Botswana, où, fin 2015, De
Beers a annoncé la fermeture de sa mine de Damtshaa et la baisse de la
production du site d’Orapa pour les trois prochaines années.
Des décisions qui font suite à la vente par le leader du secteur de sa mine de
Kimberley, en Afrique du Sud, exploitée depuis plus d’un siècle, et à la
fermeture du site de Snap Lake, au Canada. La situation affecte aussi le secteur
de la taille, notamment en Namibie, où neuf entreprises (sur treize) ont dû
mettre la clé sous la porte l’an dernier. À plus long terme, les prix devraient
néanmoins remonter puisque aucun gisement majeur n’a été découvert ces dernières
années.
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