Pour aller chercher la croissance, chacun emprunte des voies différentes. Du Caire à Bamako, illustration en quatre pays.
Le Cameroun vise un pic de production de 57 millions de barils en 2016.
Égypte : plus d’impôts, moins de subventions
Malmenée par la révolution, l’économie égyptienne a depuis retrouvé des
couleurs. Élargissement du canal du Suez, signature de contrats militaires pour
plusieurs milliards de dollars, regain d’intérêt des investisseurs étrangers et,
pour finir, découvertes gazières offshore… L’année 2015 a redonné une assise au
pays après quatre années d’instabilité politique et de ralentissement
économique. Au cours de l’année fiscale 2014-2015, le PIB a progressé de 4,2 %,
contre une moyenne de 2 % les années précédentes. Le gouvernement s’attend à 5,5
% pour l’exercice en cours. De leur côté, les bailleurs de fonds internationaux
restent plus prudents et tablent sur une croissance comprise entre 4,2 % et 4,6
% en 2016.
Nouveau canal de Suez, inauguré en août 2015.
L ‘aide financière provenant des monarchies du Golfe a parfaitement joué son
rôle, permettant à l’Égypte de rester à flot. Mais l’économie a aussi profité
des ambitieuses réformes de la fiscalité et des subventions sur les produits
alimentaires et énergétiques, qui représentent près d’un tiers du budget de
l’État.
L’objectif? Améliorer les comptes publics, déficitaires, en augmentant la
collecte des impôts et en réduisant les dépenses de l’État. « En Afrique, les
subventions ne sont pas très efficaces et sont généralement mal ciblées.
L’Égypte n’est pas une exception. Il était urgent de réformer le système pour
dégager les ressources budgétaires nécessaires à une transformation structurelle
de l’économie », souligne Nassim Oulmane, économiste pour l’Afrique du Nord à la
Commission économique pour l’Afrique des Nations unies.
En outre, l’italien Eni a eu la bonne idée de découvrir, en août 2015, le plus
grand gisement de gaz de Méditerranée. Si l’exploitation ne débutera pas tout de
suite, cette découverte offre des perspectives considérables alors que le pays,
importateur net d’énergie, subit régulièrement des coupures de courant. « Ce
gisement va accroître l’attractivité de l’Égypte, notamment pour l’implantation
autour du canal de Suez de nouveaux sites industriels qui bénéficieront de
capacités électriques à des prix compétitifs », affirme Nassim Oulmane. L’autre
bonne nouvelle concerne la naissance de la Tripartite, une zone de libre-échange
regroupant 26 pays et 625 millions de consommateurs, du Caire au Cap. « Les
entreprises égyptiennes sont particulièrement bien placées pour bénéficier de la
croissance africaine », estime Nassim Oulmane.
Mais l’économie égyptienne doit toujours relever d’immenses défis. La dette
publique atteint 90 % du PIB et le pays paie sa forte dépendance aux recettes
touristiques, qui représentent une part importante de ses réserves de change.
Après le crash d’un avion de ligne russe dans le Sinaï, en octobre 2015, il est
peu probable que les visiteurs se pressent de nouveau au pied des pyramides…
L’Égypte n’a donc d’autre choix que de poursuivre le développement de son
industrie. Mais avec une inflation supérieure à 10 %, l’octroi de crédits au
secteur privé reste limité faute d’une politique monétaire plus accommodante. La
forte hausse des prix à la consommation peut en outre devenir un facteur de
tensions sociales, alors que le chômage touche 12,9 % des Égyptiens et près de
39 % des jeunes.
Usine de jus de fruits, d'eau minérale et de
lait à Remera, près de Kigali, au Rwanda.
Le patron de la BAD insiste sur la transformation locale des produits pour créer
des emplois.
Rwanda : la forte carte de l’intégration
En 2016, les citoyens rwandais se rendront aux urnes pour se prononcer
sur la réforme constitutionnelle autorisant Paul Kagamé à se présenter pour un
troisième mandat. Une perspective qui soulève peu d’enthousiasme dans les
chancelleries occidentales. L’aide internationale, qui représente un gros tiers
du budget du pays, reste pourtant vitale. La suspension d’une partie de ces
fonds, en 2012, avait nettement affecté la croissance du PIB rwandais, tombée à
4,7 % en 2013 avant de rebondir à 6,9 % en 2014 et à 6,5 % en 2015. Elle est
attendue à 7 % en 2016… si la communauté internationale ne bronche pas.
La ligne dure adoptée par Kagamé jette un voile sur la subtilité avec laquelle
le chef de l’État a su tisser, au fil des années, les liens économiques les plus
favorables à son pays. En dépit des relations compliquées avec Kinshasa, Kigali
reste un partenaire commercial de premier plan de la RD Congo, avec près de 150
millions de dollars d’échanges en 2013 (109 millions d’euros). Le retour du
Rwanda au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale
(Ceeac), en mai 2015, est une autre illustration de cette approche pragmatique.
À ses partenaires, le petit pays enclavé offre notamment une ouverture vers la
côte orientale, fruit de son alliance avec ses grands voisins d’Afrique de
l’Est.
Car la sortie de la Ceeac, en 2007, avait permis au Rwanda de se concentrer sur
le renforcement de ses liens avec le Kenya et l’Ouganda. Les bases d’une union
douanière ont été posées, un visa touristique unique a été instauré et les frais
de roaming pour les appels inter-États ont été supprimés. La « coalition des
enthousiastes », comme ces trois pays ont été surnommés, a lancé un ambitieux
projet de ligne ferroviaire régionale, pour 4 milliards de dollars. Avec le
Burundi et le Soudan du Sud, les trois pays ont en outre créé l’East African
Exchange, une Bourse régionale des matières premières basée à Kigali.
L ‘économie rwandaise demeure dominée par le secteur rural. L’agriculture et la
pêche représentent un tiers du PIB, et plus de 70 % de la population continue de
vivre du travail de la terre. Aussi, malgré l’emballement concernant les
investissements d’industriels chinois dans le textile, le secteur manufacturier
reste marginal (5,1 % du PIB en 2014). Les bases d’une diversification sont
pourtant posées. La part des services dans les exportations est supérieure à 40
%, ces dernières ayant décuplé depuis 2000 pour passer la barre du milliard de
dollars en 2012. Les investissements directs étrangers (159 millions de dollars
en 2014) et les revenus de l’industrie touristique (300 millions de dollars)
sont en hausse. La finance et les services aux entreprises représentent environ
15 % du PIB et le secteur bancaire, bien que de taille modeste, dispose de
ratios de solvabilité et de liquidité jugés satisfaisants.
Le pays est parmi les mieux classés en Afrique, qu’il s’agisse de gouvernance
(onzième du classement Mo Ibrahim), de transparence (deuxième du classement de
Transparency International), du climat des affaires (deuxième du classement «
Doing Business » de la Banque mondiale) ou de compétitivité (troisième selon
l’indice du Forum économique mondial). Autant d’indicateurs que Kagamé ne se
lasse pas de rappeler à ses détracteurs.
La Société commerciale de banque du Cameroun (SCB) doit restituer 150 millions
de F CFA à l'État.
Cameroun : l’art de la résilience
Au Cameroun, l’année 2015 s’est achevée sur un léger ralentissement. Le
taux de croissance serait de 5,3 %, selon le FMI, contre 5,7 % un an plus tôt.
La situation est donc moins difficile que celle des voisins tchadien, gabonais,
congolais ou équato-guinéen, même si elle reflète les difficultés d’une économie
qui peine toujours autant à faire fructifier son potentiel. Bonne nouvelle pour
le gouvernement : il pourra se passer d’une loi de finances rectificative (alors
qu’une telle mesure a été adoptée par la quasi-totalité des pays de la Cemac)
ainsi que de l’emprunt obligataire de 150 milliards de F CFA (229 millions
d’euros) prévu pour faire face au déficit budgétaire.
De fait, le pays fait preuve d’une résilience certaine en ces temps pourtant
troublés. « L’économie camerounaise a presque absorbé les effets de la chute des
cours du pétrole. Sa structure productive diversifiée la rend moins dépendante
aux hydrocarbures que d’autres pays », estime Babacar Ba, associé chargé de
l’Afrique centrale au sein du cabinet sénégalais Performances.
Certes, les incursions permanentes du groupe terroriste nigérian Boko Haram dans
la partie septentrionale du pays affectent l’activité agricole et retardent les
investissements routiers. Mais ailleurs, l’économie suit son cours. Le
renouvellement des licences de téléphonie avec les opérateurs sud-africain MTN
et français Orange a ainsi permis au Trésor public d’engranger une partie des
150 milliards de F CFA de l’opération, tandis que la poursuite des grands
chantiers (autoroute Douala-Yaoundé, barrages, deuxième pont sur le fleuve
Wouri) est favorisée par l’arrivée de nouveaux cimentiers : en 2015, les groupes
nigérian Dangote et marocain Ciments de l’Afrique ont augmenté de 1,5 million de
tonnes la capacité annuelle de production du pays, et le turc Medcem devrait
suivre prochainement.
Mais l’activité économique reste entravée par une contrainte énergétique
étouffante et un environnement des affaires pesant. Le recul de quatre places
dans le dernier classement « Doing Business » (le Cameroun est 172e sur 189
pays) témoigne de la défiance des investisseurs.
L ‘année 2016 doit marquer le démarrage des projets structurants de seconde
génération. En hausse de 11,8 %, le budget traduit l’optimisme de Yaoundé. Avec
un taux de croissance estimé à 5,4 % par le FMI, le Cameroun devrait stabiliser
le curseur. La mobilisation de 1,5 milliard de dollars (1,4 milliard d’euros)
consécutive à l’émission du premier eurobond du pays devrait maintenir la
cadence des investissements publics.
En outre, le gouvernement pourra compter sur de nouvelles ressources issues des
droits d’entrée provenant de la concession des terminaux du port en eau profonde
de Kribi. La signature des conventions avec deux consortiums (d’un côté Bolloré,
CMA CGM et CHEC, de l’autre Necotrans et KPMO) doit permettre de démarrer les
activités début 2016. La mise en route de ce complexe « industrialo-portuaire »
contribuera à sortir enfin le port de Douala de sa paralysie. Et donnera un
second souffle à l’économie de tout le pays.
Vue d'un champ de blé.
Mali : priorité l’agriculture
De 1,7 % en 2013, la croissance du Mali a grimpé à 7,2 % en 2014. Un bond
spectaculaire pour un pays dont l’unité est toujours en péril. En 2015, ce taux
devrait être plus modeste : 5 %, selon le FMI. Des chiffres encourageants qui
doivent être observés avec prudence, car ils résultent en grande partie du
regain d’activité consécutif à la fin de la crise politico-sécuritaire et de
l’aide internationale (3,3 milliards d’euros promis en mai 2013 à la conférence
de Bruxelles et 3,2 milliards annoncés en octobre 2015 à Paris).
L ‘économie malienne reste dépendante de deux secteurs, l’or et le coton, qui
représentent respectivement 60 % et 13 % des exportations. Selon le FMI, les
recettes tirées de l’or devraient atteindre 918 milliards de F CFA en 2015 (1,4
milliard d’euros), contre 856 milliards en 2014. Le coton, pour lequel le pays
s’était fixé un objectif record de 650 000 tonnes, voit ses recettes se
maintenir autour de 170 milliards de F CFA. Profitant également de la chute des
prix du pétrole, la balance commerciale du Mali connaît une conjoncture
favorable, mais celle-ci ne sera pas éternelle.
L ‘État doit renforcer et diversifier son économie de toute urgence. Mais par où
commencer ? « Dans un pays qui sort d’une crise aussi aiguë, tout est
prioritaire », admet Mamadou Igor Diarra, le ministre de l’Économie et des
Finances. Mais pour lui, développer l’agriculture est la première urgence à
court terme, afin d’assurer des revenus au plus grand nombre tout en répondant
aux besoins alimentaires. « Ni l’or ni le coton ne nourrissent les Maliens.
Aujourd’hui, un peu moins de 200 000 hectares de terres cultivables sont
aménagés, sur un potentiel de 2 millions d’hectares. En aménageant 5 % de terres
en plus, notre pays peut atteindre l’autosuffisance alimentaire », promet-il en
citant le riz, le maïs et le mil. Dans ce but, le gouvernement alloue 15 % de
son budget à des programmes de soutien aux cultures vivrières (subventions à
l’achat de tracteurs), à l’élevage (très important dans le Nord) et à certaines
cultures de rente (karité, gomme arabique, noix de cajou, sésame).
Au-delà de l’agriculture, les perspectives sont moins encourageantes. «
L’industrie est en décroissance. C’est structurel et pas forcément lié à la
crise », regrette un expert international, soulignant que le pays souffre d’un
manque de formation et d’un niveau élevé de corruption et de fraude. Une
situation qui affecte le climat des affaires : le Mali recule dans le palmarès
Mo Ibrahim de la bonne gouvernance comme dans le classement « Doing Business ».
« Il ne faut pas être trop pressé, tempère Anne Le More, spécialiste des pays
postconflit à l’OCDE, de retour d’une mission d’observation au Mali. Une
importante réforme de la fiscalité a été menée en 2015 afin de garantir des
revenus supplémentaires à l’État, à la fois convalescent et appelé sur tous les
fronts. »
Ces fonds sont essentiels pour que Bamako puisse assumer ses responsabilités, à
commencer par le développement des infrastructures. Qu’il s’agisse d’énergie
(barrage de Taoussa, centrales solaires Scatec et Akuo Energy) ou de connexions
routières (axe Niono-Tombouctou), l’enjeu est double : créer les conditions
indispensables aux investissements privés et unifier le pays pour y rétablir
durablement la paix.
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