Cela fait des années que les Bourses de Douala et de Libreville se concurrencent… sans qu'aucune des deux ne décolle. Le cabinet Roland Berger a été mandaté pour plancher sur le sujet. En exclusivité, J.A. décrypte ses conclusions.
La bourse de Libreville, au Gabon.
C ‘est un vieux serpent de mer qui refait surface. Alors que la majorité des six
États membres de la Cemac sont durement touchés par la dégringolade des cours
des matières premières dont ils sont exportateurs et que l’accès aux capitaux
internationaux devient de plus en plus cher, la Commission de surveillance du
marché financier de l’Afrique centrale (Cosumaf) remet sur la table le débat sur
la transformation du marché régional des capitaux, dont la dynamisation
permettrait de mobiliser plus aisément les ressources nécessaires au
développement.
Mi-2015, le patron du régulateur, l’Équato-Guinéen Raphaël Tung Nsue, a confié
une étude sur ce sujet au cabinet Roland Berger. Après six mois d’enquête au
Gabon, en Guinée équatoriale, au Tchad, au Congo, au Cameroun et en Centrafrique
et des rencontres avec tous les acteurs concernés, des décideurs politiques aux
patrons d’entreprise en passant par les financiers, le cabinet de conseil
français vient d’achever un rapport d’une centaine pages.
Faiblesse de l’offre des titres, manque de liquidité du marché, mauvais niveau
des intermédiaires boursiers… Le document égrène tous les obstacles, le tout sur
fond d’une concurrence contre-productive entre les Bourses de Douala et de
Libreville. Surtout, l’étude propose des recommandations. Jeune Afrique en
livre, en exclusivité, les grandes lignes, qui ont servi de base de travail au
Forum sur le développement du marché financier de l’Afrique centrale, les 24 et
25 février, à Malabo.
1. Fusionner le DSX et la BVMAC
Les conclusions de Roland Berger sont formelles : pour amorcer une
redynamisation du marché financier d’Afrique centrale, « il faut créer, par des
mesures fortes, les conditions d’un choc et d’un départ », écrit le cabinet.
Autrement dit, c’est une question de volonté politique, laquelle doit se
traduire par la validation et la mise en œuvre à très court terme – si ce n’est
dans l’immédiat – du projet de rapprochement de la Bourse des valeurs mobilières
de l’Afrique centrale (BVMAC, à Libreville) et du Douala Stock Exchange (DSX).
En 2011, la BAD avait proposé deux scénarios : l’un consacrant la spécialisation
des places, avec les actions au Cameroun et les obligations au Gabon ; l’autre
consistant à fusionner les deux marchés pour donner naissance à une place
financière installée à Douala, tandis que le régulateur et le dépositaire
central seraient basés à Libreville. Les analystes de Roland Berger, qui
affirment que leur travail est complémentaire de celui de la BAD, privilégient
le dernier cas de figure. C’est celui-là qui, selon eux, permettra de «
maximiser la profondeur, la liquidité et l’attractivité du marché tout en
minimisant les coûts opérationnels et les risques ».
« Concrètement, cela doit passer par l’harmonisation des réglementations des
deux Bourses et par le rapprochement des infrastructures technologiques en vue
de la création d’une plateforme commune, explique Georges Ferré, responsable des
services financiers pour l’Afrique chez Roland Berger. Plus qu’une adresse
postale, une Bourse, c’est surtout des ordinateurs connectés à une plateforme.
Ce qui est important, c’est de multiplier les points d’entrée à cette plateforme
dans les différents pays membres. »
Alors que les capitaux vont coûter de plus en plus en cher sur les marchés
internationaux, « la convergence rapide des Bourses est un impératif pour le
développement de la sous-région et permettra de créer des palliatifs aux modes
de financement classiques », rappelle le patron d’une société d’intermédiation,
qui a requis l’anonymat. D’après lui, il est important de copier des modèles qui
ont réussi, à l’instar de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM, à
Abidjan) pour l’UEMOA.
2. Développer l’offre
La relance du marché financier d’Afrique centrale doit également passer par
l’apport de nouveaux titres à la cote. Ici aussi, c’est aux États de montrer
l’exemple. Roland Berger a identifié – et c’est sans doute la recommandation
phare de son étude – un premier wagon de neuf sociétés publiques et privées
pouvant être introduites en Bourse à court et moyen termes : au Cameroun, Alucam
(aluminium), Sodecoton (coton), SCDP (stockage de produits pétroliers), Eneo
(électricité) et la banque CBC ; au Gabon, la Société équatoriale des mines
(SEM), BGFI Bank et Ceca Gadis (distribution) ; et enfin Azur, un opérateur de
téléphonie mobile présent au Congo, en Centrafrique et au Gabon.
« Ce sont certes des entreprises intéressantes, mais il y a mieux », estime un
financier camerounais, pour qui « les secteurs attractifs sont notamment les
télécoms, la banque et l’aval pétrolier ». Avant de concéder : « On est obligé
de démarrer par ce type d’artifice pour que les États jouent leur rôle. » Mais
si le cabinet incite les gouvernements à privatiser, il leur recommande par
ailleurs de ne pas exclure la possibilité de prendre des mesures contraignant
les entreprises (notamment étrangères) à ouvrir une partie de leur capital en
Bourse.
L’arrivée de ces nouveaux titres permettrait de casser l’image d’atrophie de la
BVMAC et du DSX, qui ne totalisent que quatre titres dans leurs compartiments
actions. Surtout, elle favoriserait l’émergence de valeurs modèles dont
l’attractivité permettrait d’attirer les investisseurs. Dans le jargon, on
appelle role models ces entreprises qui bénéficient d’une large adhésion des
populations du fait de la forte visibilité de leurs produits, qui réalisent de
bonnes performances financières et dont le potentiel de croissance (sectoriel et
intrinsèque) reste important. C’est le cas de Dangote Cement à Lagos (qui
représente 30 % de la capitalisation de la place nigériane), de Maroc Télécom à
Casablanca (22 %), de la SFBT en Tunisie (13 %) et de la Sonatel à la BRVM (36
%).
Autre défi : donner un coup de fouet au marché obligataire, jusqu’à présent
tributaire des émissions des États. Roland Berger recommande d’élargir la
palette des obligations souveraines en attirant la finance islamique à travers
des sukuks et de miser sur les obligations foncières (qui favoriseraient le
refinancement des banques) et de crédit-bail.
3. Renforcer les acteurs du marché
Les sociétés de Bourse ont un rôle fondamental à jouer. Actuellement, ces
dernières manquent cruellement de compétences, et leurs prestations ne sont pas
toujours à la hauteur. Pis, aucun animateur de marché capable de transmettre les
cotations ne s’est imposé parmi elles. Le régulateur est invité à corriger cette
défaillance.
Mais alors que Roland Berger préconise la surveillance des sociétés de Bourse,
notre financier camerounais s’interroge : « Pour quel objectif ? Crée-t-on plus
d’activité en surveillant davantage les sociétés de Bourse ? Il est difficile de
retenir un personnel de qualité au sein des sociétés sur un marché atone.
L’activité de Bourse est négligeable pour les quatre sociétés agréées à la
Cosumaf et la douzaine éligibles à la Commission des marchés financiers du
Cameroun. Le marché ne présente pas une activité stratégique pour la plupart,
qui tournent à perte et sont contraintes de devenir des prestataires de services
d’investissement. Encore une fois, dynamiser le marché demeure le cœur du
problème. »
De même, lorsque Roland Berger recommande de créer un organisme public de
fourniture de données aux investisseurs qui sera ensuite privatisé, le patron
d’une société d’intermédiation répond : « C’est un peu scolaire comme
proposition. Chaque émetteur doit fournir l’information financière le
concernant, mais aucun ne le fait. C’est le rôle du régulateur de s’assurer que
cette obligation est remplie. Les états financiers doivent être disponibles en
temps et en heure sur le site du régulateur. Créer un organisme va-t-il rendre
ces émetteurs plus communicatifs ? » Rien n’est moins sûr.
4. Réformer le cadre réglementaire
Il s’agit certainement du chantier le plus ardu. Sur 40 actions identifiées par
Roland Berger, 29 concernent les réglementations, la législation et les
procédures. Des points qui touchent à certaines questions sensibles, telles que
le passeport Cemac, la libre circulation des personnes, des biens et des
capitaux ou encore la réduction du financement des États par la BEAC. Ce dernier
sujet est d’autant plus délicat que, dans la conjoncture actuelle de chute des
cours des matières premières, les pays de la Cemac attendent beaucoup de leur
banque centrale.
Outre l’harmonisation de la fiscalité des revenus des valeurs mobilières, la
nécessité de baisser les coûts d’introduction en Bourse ou l’autorisation donnée
aux sociétés d’intermédiation de passer des ordres pour le compte de leurs
consœurs étrangères, l’étude fourmille de suggestions pour favoriser l’expansion
de l’épargne longue. « Le cadre législatif doit être très volontaire pour
renforcer la capacité d’épargne de la sous-région », explique Georges Ferré. Des
incitations fiscales sur les produits d’assurance-vie permettraient par exemple
aux assureurs de jouer pleinement leur rôle d’investisseurs institutionnels,
notamment dans le domaine des infrastructures. « Les régulateurs de la
sous-région ont un savoir-faire pour moderniser, faire avancer et adopter
rapidement les textes », assure le consultant.
5. Mieux communiquer
À Abidjan, les dirigeants de la BRVM ont montré l’exemple. Depuis trois ans, ils
multiplient les opérations marketing dans l’UEMOA, mais aussi à Casablanca,
Londres, New York ou Paris. Une stratégie qui a contribué aux belles
performances de la place. Avec une progression de 17,77 %, le BRVM Composite
s’est ainsi classé en tête des indices boursiers du continent en 2015.
D’ailleurs, des assureurs et des fonds souverains de la Cemac préfèrent investir
sur la place ouest-africaine, relève Roland Berger.
Les analystes du cabinet s’attardent ainsi sur la nécessité de promouvoir la
place financière d’Afrique centrale auprès de la communauté des investisseurs,
notamment locaux. « Il est important de stimuler la demande locale, car la
Bourse est conçue par et pour la région. C’est un outil de croissance inclusive
que les populations doivent s’approprier », estime Georges Ferré. Pour faire
passer ce message, les régulateurs et promoteurs de la place peuvent s’appuyer
sur les organisations professionnelles, les patronats mais aussi l’État.
Naviguer à travers les articles | |
Développement : et eux, ils font comment ? |
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
|