Lancée par un grand show musical et culturel à la fête du nouvel an à Yaoundé pour culminer par une conférence internationale en mai prochain, la commémoration des 50 ans de l'indépendance du Cameroun a provoqué une vive controverse.
Un débat oppose intellectuels, acteurs politiques et autres personnages dits engagés de la société civile sur l'opportunité de cette commémoration, rappelant à la mémoire collective le contexte de l'accession de ce pays d'Afrique centrale à la souveraineté le 1er janvier 1960 et son évolution politique et socioéconomique depuis lors, deux questions diversement interprétées.
Un des dirigeants du Parti de l'alliance révolutionnaire africaine pour la démocratie et l'indépendance économique et sociale (PARADIES, créé en 2009), le journaliste Joseph Marie Eloundou est l'un de ceux qui animent le débat, remettant en cause l'indépendance célébrée qui, à leurs yeux, est une "indépendance juridique", car "octroyée".
"Quand de Gaulle dit : vous voulez l'indépendance ? Et bon, je vous la donne. Les pays qui ont arraché leur indépendance se sont donné les instruments de souveraineté. Ils ont fabriqué eux-mêmes leur monnaie et produit des programme de gestion de leur pays", a- t-il déclaré à Xinhua à l'issue d'une récente conférence à Yaoundé de Gaston Kelman, écrivain camerounais résidant en France et conseiller du ministre français de l'Immigration.
"Or, nous autres, on nous a donné l'indépendance, on a décapité les nationalistes et ceux qui ont pris le pouvoir n'avaient pas de programme précis, ils étaient en fait des gens qui étaient au service d'un autre système de gestion", a-t-il ajouté.
Premier pays francophone d'Afrique à devenir un Etat souverain, le Cameroun est aussi le seul du continent à avoir connu une double domination coloniale, française et anglaise, après avoir été sous protectorat allemand. Au point que le français et l'anglais en sont les deux langues officielles.
Ce condominium franco-britannique (Trusteeship) avait pris fin avec le fameux Accord du 4 mars 1916 marquant les limites territoriales des nouvelles puissances tutrices du Cameroun. Les Anglais avaient hérité de la portion congrue, en l'occurrence un cinquième de l'ensemble du territoire, tandis que la France avait bénéficié des autres quatre cinquièmes restants qui équivalaient à l'époque à une superficie de 432.000 km2 pour près de 2 millions d' habitants.
La partie française va accéder à l'indépendance le 1er janvier 1960 après des épisodes épiques et extrêmement sanglants d'une lutte armée contre les colons ultras. Et le 1er octobre 1961, la partie sous administration indirecte anglaise accèdera au même type de souveraineté après deux référendums organisés par l'Organisation des Nations Unies (ONU).
L'histoire du Cameroun est une histoire controversée, parce que les Camerounais ont pris des positions, chacun estimant que sa position était la plus juste, reconnaît le Pr. Daniel Abwa, professeur d'histoire à l'Université de Yaoundé I.
"Par rapport à l'indépendance justement, c'est l'un des rares pays africains qui a obtenu une indépendance à la fois négociée et violente. Entre 1956 et 1970, le Cameroun était en guerre, une guerre d'abord pour faire partir les Français et une guerre ensuite contre l'indépendance donnée par les Français", a-t-il décrit à Xinhua.
Auteur d'un ouvrage intitulé "Histoire d'un nationalisme" en cours de publication, il valide la thèse selon laquelle "ceux qui ont voulu une indépendance réelle, où le partenariat avec les anciennes puissances coloniales devait se faire d'égalité, n'ont pas eu l'indépendance".
Cette analyse s'appuie sur l'ouvrage "Les Blancs s'en vont" de l'ancien haut commissaire français au Cameroun Pierre Messmer, de 1956 à 1958, qui marqua la conscience camerounaise par une répression violente de la population et des leaders de l'Union des populations du Cameroun (UPC), principaux acteurs de la guerre d'indépendance.
"Messmer dans son ouvrage dit clairement que l'indépendance a été donnée au Cameroun à ceux qui n'en voulaient pas. Etant donné qu'en Algérie, ça n'allait pas du tout, la France a donc changé d'optique, elle a donc voulu négocier et ceux qui étaient prêts à la suivre, c'est à ceux-là qu'il a donné l'indépendance", relève Daniel Abwa.
"Mais, les autres ont continué de lutter contre l'indépendance jusqu'en 1971 lorsque le dernier des résistants a été tué. C'est pour cela que dans mes travaux je parle de deux guerres d' indépendance : une première entre 1956 et 1960 et une deuxième à partir de 1960 jusqu'en 1971", affirme-t-il.
En dehors de tels travaux de chercheurs camerounais, dont l' authenticité n'échappe pas non plus d'ailleurs à la polémique, les véritables traces de cette histoire sont quasi invisibles dans les bibliothèques du Cameroun..
"Une bonne partie des archives concernant justement les aspects contemporains de l'histoire de cette partie du Cameroun et qui se trouvent à l'étranger, tardent toujours à être mises à la disposition des chercheurs, des historiens professionnels et des historiens d'enseignement à cause de la durée d'une prescription particulièrement longue", regrette le Dr Owona Ntsama, également historien.
Selon lui, "il s'agit d'une histoire qui devra faire un jour l'objet d'une vaste séance d'exorcisme en ce sens que l'essentiel de ce que l'on sait, fut écrit d'abord par les administrateurs coloniaux et ensuite par des historiens institutionnels qui ne ratent pas une occasion pour pasticher les travaux antérieurs précités".
Bien qu'"octroyée" ou "négociée", cette indépendance fut plutôt douloureuse pour ceux des Camerounais ayant pris l'option de la lutte armée contre le colonisateur. A l'instar de Um Nyobè, Ossende Afana, Félix Moumié, leaders de l'UPC, des centaines d'entre eux y avaient payé de leur vie.
Auteur du célèbre roman "Je suis noir et je n'aime pas le manioc", Gaston Kelman a révélé à Xinhua que son "père a été obligé de fuir de Douala parce que la guerre d'indépendance était chaude" dans cette métropole économique du Cameroun, soit un fief de la résistance.
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