Le professeur Iba Der Thiam, ancien ministre sénégalais de l'Education, est un des plus historiens africains, a cité le développement de la solidarité entre l' Afrique, l'Asie et l'Amérique latine, comme un des points positifs des cinquante années d'indépendance des pays africains.
M. Thiam, par ailleurs vice-président de l'Assemblée nationale, jette un regard critique sur ce demi siècle, dans une interview accordée à Xinhua.
En cinquante années d'indépendance, les pays africains ont- ils pu réaliser quelque chose?
De 1960 à 1970, les nouveaux régimes installés, bien qu'ils soient pour l'essentiel des régimes pré-coloniaux avaient réalisés beaucoup plus que le système colonial. Par exemple, quand la France quittait le Sénégal avait un taux de scolarisation de 12% et quand Senghor (premier président de la république du Sénégal : NDLR) partait en 1980, ce taux a été remonté à près de 60%.Par conséquent, incontestablement, un chemin important a été parcouru en matière d'éducation, infrastructure, santé, habitat, protection sociale, d'ouverture vers le monde extérieur etc.
Pourquoi l'Afrique joue-t-elle toujours le second rôle surtout dans le domaine économique ?Ce sont les séquelles de la domination coloniale. Parce qu'il ne faut pas oublier que l'Afrique a été un continent extrêmement meurtri. Il a souffert de plus de quatre siècles de domination (traite négrière et l'esclavage) au cours desquels l'essentiel de ses forces vives ont été transplantés hors du continent. Cette situation a créée des traumatismes socio- culturels profonds ainsi que des mutilations et des transformations dans les mentalités, dans les structures sociales dont les stigmates se ressentent encore aujourd'hui. Ensuite, ce système colonial était un système d'occupation territoriale, de domination politique, d'exploitation économique et d'aliénation culturelle. Quand il est venu, il a tenté de nous enfermer dans un régime qui consistait à nier notre identité, notre personnalité pour pouvoir davantage nous dominer et nous assujettir. Nos économies étaient des économies orientées, extraverties.
Comment l'économie des pays africains a-t-elle été orientée ?
Il y avait ce qu'on appelle un système commercial préférentiel qui faisait que nous étions obligés d'envoyer tout ce que nous produisions en Europe. L'Europe le récupérait, le transformait, nous envoyé ensuite les produits finis et nous les vendait. Nous avons vécu ce régime pendant longtemps. Quand nous avons été indépendants, on a voulu le faire dans le cadre des fédérations qui existaient. Mais cela n'a pas été accepté. Nous avons commencé à mener une vie indépendante mais dans des conditions difficiles, où le système mondiale s'est déjà structuré depuis Bretton Woods et depuis 1945 avec les Nations Unies. Nous sommes donc venus dans un monde qui avait été préparé pour fonctionner en dehors de nous. Il a fallu se battre pour avoir une place en créant en 1963 l'Organisation de l'Union africaine (OUA).
Il s'agit de combattre pour mettre en jeu des intérêts considérables, des privilèges et de revoir les situations qu'on est pas disposé à accepter. Et cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. Maintenant que les pays africains n'ont pas réussi est une réalité. Mais ils n'ont pas totalement échoué parce qu'ils ont aussi marqué des points : la solidarité entre l'Afrique et l' Asie s'est faite entre l'Afrique et le monde latino américain s' est également établi etc.
Comment expliquez-vous la permanence des coups d'Etats en Afrique, cinquante ans après l'indépendance ?
Les coups d'Etats en Afrique ne sont pas gratuits. Ils interviennent dans des zones qui présentent un certain nombre de caractéristiques. Il y a eu par exemple un coup d'Etat en Sierra Leone parce que c'est un territoire riche en or, diamant etc tout comme le Liberia. Il vient d'en avoir un au Niger qui n'est pas étranger aux enjeux économiques que le Niger renferme à travers le pétrole et l'uranium qui sont devenus aujourd'hui des produits stratégiques. Tout cela est la résultante d'une réflexion, d'un mécanisme mis en oeuvre de façon scientifique et élaboré dans des officines que nous ne connaissons pas. Et dès qu'un dirigeant africain commence à revendiquer la possibilité de gérer son propre destin en toute liberté comme nous le préconisait Barack Obama à son discours d'Acra, il est diabolisé. Malheureusement tout le monde n'a pas la vision de Obama. La preuve c'est que quand nous essayons de diversifier nos partenariats en nous ouvrant vers l' Amérique Latine, les pays d'Asie, les capitaux Arabe, nous sommes diabolisés.
Les classes dirigeantes africaines n'ont-elles pas une part de responsabilité dans ce qui passe actuellement ?
Les classes dirigeantes Africaines ont leur défaut : des défauts d'une gouvernance qui n'est pas souvent transparente, désintéressée ou démocratique. Nous avons des erreurs dans la gestion des fonds qu'on nous confie. Dans l'administration de nos pays, nous avons un type de rapport avec nos populations qui ne se fondent pas sur la confiance. Parce que nous avons une conception du pouvoir héritée de la conception africaine traditionnelle du pouvoir : où le pouvoir était exercé par un chef sur lequel tout monde était prêt à aligner ses positions. Mais on oublie que dans la société traditionnelle, ce chef ne prenait jamais de décision seul. Il était encadré par un certain nombre de sages.
source:
http://french.news.cn/afrique/