ZIGUINCHOR, 23 septembre 2009 (IRIN) - Un matin il n’y a pas si longtemps, à Ziguinchor, la ville principale de la Casamance, région du sud du Sénégal, on pouvait entendre à la fois les voix des enfants d’une école maternelle chantant l’hymne national dans une salle de classe bleu vif, et des tirs d’artillerie à plusieurs kilomètres de là. Ni la guerre, ni la paix.
Des affrontements récents entre l’armée et les troupes séparatistes de Casamance ont prouvé que le conflit qui sévit depuis 27 ans n’était pas terminé, et les observateurs avertissent que le calme relatif de ces dernières années ne doit pas être considéré comme inébranlable.
Après de nombreuses années de combats au cours desquels des milliers de personnes ont dû être déplacées, le gouvernement et les rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) ont signé un accord de paix en 2004 ; cependant, la région continue à subir régulièrement des crimes avec violence, des assassinats politiques et des affrontements entre l’armée et le MFDC divisé.
Les mines terrestres provoquent toujours des accidents mortels ou handicapants et empêchent l’accès aux terres cultivables.
Les troubles les plus récents, déclenchés par un affrontement survenu le 21 août, ont ravivé chez certains Casamançais le souvenir de la période la plus agitée du conflit, dans les années 1990.
« Les gens ont l’impression de revivre les débuts de la crise », a dit Lucien Gomis, président du conseil rural de Boutoupa-Camaracounda, une communauté située à environ 30 kilomètres au sud-est de Ziguinchor. D’après lui, certaines familles qui étaient récemment revenues dans la région craignent de devoir fuir à nouveau.
Nouha Cissé, coordinateur adjoint de l’Alliance pour la paix en Casamance, a dit à IRIN : « Après des années relativement calmes, alors que les habitants commençaient à peine à croire que la situation pouvait se stabiliser durablement, ils ont replongé dans la psychose ».
Une femme et ses enfants, parmi les centaines d’habitants qui ont fui Diabir, un village situé juste à la sortie de Ziguinchor, suite à des affrontements entre l’armée et les troupes séparatistes
« Ils veulent désespérément rentrer »
Malgré l’incertitude de ces dernières années, certaines familles sont revenues dans leurs villages et essaient de reconstruire leur vie.
« Ces déplacés ont été appauvris par l’exil, mais ils veulent désespérément rentrer », a expliqué Martin Evans, maître de conférence en développement international à l’Université de Chester, qui se rend souvent en Casamance pour ses recherches.
On ne connaît pas avec certitude le nombre de déplacés internes – dont la plupart sont hébergés par des proches. L’Internal Displacement Monitoring Centre a estimé qu’ils étaient « de 10 000 à 70 000 » en 2008. En outre, des milliers de Casamançais vivent dans les pays voisins, la Gambie et la Guinée-Bissau.
Etant données les violences sporadiques que subit la région, les habitants sont nombreux à faire la navette entre le lieu où ils sont logés et les exploitations où ils travaillent, car bien que désireux de retrouver leurs moyens de subsistance, ils ne peuvent pas se réinstaller complètement dans leurs villages.
Pourquoi maintenant ?
Les médias locaux se penchent sur une question que beaucoup de Sénégalais se posent en ce moment : pourquoi les violences reprennent-elles en Casamance ?
D’après les habitants, les intellectuels et les leaders de la société civile, quelques points font consensus : l’impasse actuelle est insoutenable, et ni le gouvernement ni le MFDC n’ont de stratégie pour en sortir ; la division du MFDC constitue une barrière considérable ; et de nouvelles négociations sont absolument indispensables.
D’après M. Evans, « ce conflit prolongé prend racine dans l’absence d’un engagement politique clair et ferme. Cela vient d’un manque de vision et de politique cohérente de la part du gouvernement sénégalais, et de la fragmentation chronique comme du manque de structure politique claire du côté du MFDC ».
Le gouvernement affirme régulièrement que le fait que le MFDC soit divisé empêchait le dialogue.
Vincent Foucher, chercheur au Centre d'études d'Afrique noire, à Bordeaux, relativise cet argument.
Une femme dans un village près de Ziguinchor, en Casamance
« L’Etat sénégalais ne semble pas réellement vouloir de négociations sur les questions de fond – le statut de la région – et ne reconnaît pas vraiment le MFDC, sous prétexte qu’il est trop divisé », a souligné M. Foucher à IRIN. « La division au sein du MFDC est un problème réel, mais cet argument est contestable car les clivages du MFDC ne sont pas sans rapport avec les politiques du gouvernement ».
Les critiques affirment que, face aux accrochages, la stratégie du gouvernement a été de distribuer de l’argent à certaines factions du MFDC. Le Collectif des cadres casamançais, une coalition de leaders de la société civile et des milieux d’affaires a déclaré, dans un communiqué du 5 septembre, qu’il s’agissait d’une « stratégie ignoble, consistant, grâce à la magie de l’argent, à créer la division au sein de l’adversaire pour l’affaiblir ».
Cependant, d’après M. Foucher, les membres du MFDC accusés d’accepter l’argent du gouvernement n’abandonnent pas toujours la cause du mouvement.
« En ce qui concerne les récents affrontements, il ne faut pas oublier que même parmi les combattants du MFDC qui ont reçu de l’argent du gouvernement en échange du respect d’un cessez-le-feu de facto, certains veulent toujours l’indépendance ou, du moins, pensent que puisque le gouvernement n’est pas prêt à mener de vraies négociations, la guerre doit reprendre, afin de forcer Dakar à concéder au minimum une forme de reconnaissance ».
César Badiate, dirigeant d’une faction du MFDC, a déclaré dans un communiqué du 4 septembre qu’Atika, la branche armée du MFDC, serait favorable à des négociations, mais que lors des récents affrontements, les provocations de l’armée l’avaient poussée à réagir.
Le 7 septembre, le président Abdoulaye Wade s’est adressé à la nation, « déplorant » les violences récentes et déclarant qu’il allait poursuivre les « efforts de paix » auprès du MFDC. M. Wade a rencontré le Collectif des cadres casamançais le 19 septembre.
Des habitants de Casamance ont dit à IRIN qu’il n’y avait pas d’autre choix que de mener de nouvelles négociations.
« Nous ne connaissons pas la cause précise de ces affrontements, et nous ne savons pas de quoi demain sera fait », a dit Ndeye Marie Sagna Le Caer, responsable de programme pour Kabonketoor, une association de femmes pour la recherche de la paix en Casamance (Kabonketoor signifie « pardonnons-nous à nous-mêmes et les uns aux autres » en langue diola). « Dans l’immédiat, le plus important est de s’asseoir à la table des négociations pour avancer vers une paix définitive ».
Robert Sagna, ex-maire de Ziguinchor et ancien ministre en charge de la Casamance, a estimé qu’il était également important de reconnaître « les initiatives locales des femmes, des notables et d’autres bonnes volontés pour aller de l’avant et sauver la Casamance et le Sénégal ».
Ibrahima Badji, habitant du quartier de Lyndiane, dans la banlieue de Ziguinchor – touché par les récents affrontements – a dit à IRIN que le MFDC semblait déterminé à intensifier le conflit. « C’est pour peut-être faire comprendre à l’opinion internationale que la guerre est loin d’être finie en Casamance ».
Cependant, pour Oumar Diatta, journaliste et écrivain vivant en Casamance, il y a des raisons d’être optimiste : « La situation actuelle est certes délétère et lourde de conséquences, mais l’optimisme est permis car tout le monde a pris conscience des dangers de la guerre, une terrible chose qui n’épargne personne ».
Géopolitique
D’après les observateurs, toute solution envisagée doit prendre en compte la Gambie au nord et, encore davantage, la Guinée-Bissau au sud. La situation politique de ces pays a fortement influencé les évènements en Casamance.
Parmi les facteurs ayant favorisé les attaques récentes, M. Foucher a mentionné les changements survenus en Guinée-Bissau depuis l’assassinat de Tagme Na Wai, chef d’état-major des armées, qui contrôlait le front sud du MFDC et forçait ce dernier à respecter un cessez-le-feu de facto.
Quelques heures après la mort du chef d’état-major, le président João Bernardo Vieira était assassiné. « Depuis que de nouveaux dirigeants ont pris le pouvoir en Guinée-Bissau, la position de ce pays vis-à-vis de la Casamance reste incertaine ».
Dans le cas d’une escalade de violence…
Des habitants de Casamance ont dit à IRIN que si la violence s’amplifiait, de nouveaux déplacés arriveraient par vagues à Ziguinchor, où les habitants sont déjà pauvres et les ressources limitées. Les troubles récents ont perturbé l’agriculture, à une période de l’année particulièrement critique pour les cultures de riz, de maïs et d’arachides.
« Les familles qui sont déplacées aujourd’hui [et qui n’ont pas accès à leurs plantations] n’auront rien à manger l’année prochaine », a indiqué Mme Sagna Le Caer, de Kabonketoor. « Les gens ne pourront plus envoyer leurs enfants à l’école ».
Abdoulaye Diallo, conseiller technique pour GTZ-Procas, une organisation de développement financée par l’Allemagne, a dit : « Tout le monde se raccroche à l’espoir que le gouvernement et le MFDC se réuniront et trouveront une solution, par égard pour les habitants de la Casamance ».
« Plus que jamais, on peut dire que nous ne sommes ni en guerre, ni en paix », a dit à IRIN Mme Sagna Le Caer. « Mais aujourd’hui, nous sommes plus proches de la guerre. C’est pourquoi il est nécessaire que toutes les parties se réunissent pour mener des négociations ».